Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 30 septembre 2009

Abstraction au voyage, VII


On comprendra que, aux environs du soixante-seizième voyage, je me sois mis à user de tous les procédés envisageables d’abstraction au voyage, que j’aie commencé à les répertorier, quitte à les inventer, que je les aie essayés, approfondis, suscités parfois. Le sommeil en est un, mais  aléatoire, décevant : bien souvent il se décompose, mosaïque d’images, ou s’interrompt, vient trop tard, l’arrivée arrache aux rêves, et laisse pantelants sur le quai, défaits, égarés.

Processus d’arrachement au monde — la plainte reviendra en boucle au long des minutes égrenés du voyage, traversera les espaces, elle voilera le regard sur le monde traversé à la vitesse absurde de ce déplacement qui abolit la géographie… vieja pared del arrabal…seule la répétition peut empêcher la superposition, éviter la surimposition des strates réelles. Rien de ce qui se répète ne se surajoute au monde … mi companera… mais l’annule ; un homme passe dans le couloir, une odeur de café à la main … tu madreselva …l’annonce, sans doute du wagon-bar, et la voix enjouée … mi primera confession … cette fois m’indiffèrent, je ne céderai pas à ses promesses, rien ne me parvient au cœur de ce silence qui est mien.

Le décompte n’est plus celui imposé des heures, décomptes des kilomètres, des poteaux électriques, des traverses, des secousses … vieja pared del arrabal… le rythme des pas des danseurs … imaginaire… imaginé… tu sombra fue mi companera…décompte dans l’oubli des lumières, elles ponctuent notre remontée vers le Nord… yo junto a vos… la chanson se répète, elle donne sa temporalité, tonalité… madreselvas en flor… dont les lumières du monde ne sont plus que les ponctuations … mi primera confession…l’intensité s’est déplacée.

Passe l’ombre du vieux poète aveugle sur un monde autre qui a sombré peut-être dans l’oubli de nos mémoires mais il est possible encore de rêver, sur lui d’ouvrir une porte dans un quartier de Buenos Aires (hors de l’oscillation subie, du va-et-vient dont l’aller et le retour s’abolissent l’un l’autre). Hors de tout cela… Il serait donc possible d’un ailleurs dont nous rêvons encore, au creux de ce tango[1], quand le train s’immobilise et nous déverse sur le quai.

 

 

 



[1] Les paroles sont de L.C. Amadori, Madreselva, 1931

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