Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 13 avril 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 18 (usure)

Même ici, la fatigue des pas se faisait sentir parfois, à des moments improbables, imprévisibles, mais elle apparaissait et s'abattait comme ailleurs ; elle s'insinuait dans le poids des sacs sur les épaules, dans les courses trop longues, constituées de détours absurdes dans la désorientation constante dont aucun plan n'acceptait de me parler. Il devenait parfois impossible de retrouver le chemin, de retrouver mes pas, de défaire le fil de la journée, pour pouvoir le remonter au creux de ma nuit. Pesanteur de la marche, même ici. Elle aurait dû être autre, être légère, portée par les regards, les senteurs, portées par un ailleurs… je pensais trouver la légèreté tant cherchée des pas.

Et pourtant la gravité me ramenait au sol ; les pas se contentaient comme ailleurs de corriger le déséquilibre constant de la marche.


Alignés contre les fenêtres du métro, les corps fatigués se tassent, et pourtant ils sont jeunes, au long des stations (elles défilent sans que je ne sois tout à fait certaine ni de leur ordre ni de leur sens) je les vois s'arrondir, ils se courbent, basculent à peine, dans une chute à peine retenue, à laquelle le balancement du wagon n'arrange rien, n'épargne rien. Parfois une femme épuisée abandonne un sac d'une main entrouverte dont les gestes se défont. Les cous se penchent. Les têtes inclinées accusent l'abattement.

Ici comme ailleurs, la lumière est terne. Nous ne pouvons pas plus. Nous ne pouvons rien d'autre que nous laisser dévorer lentement par le temps.

Entre un groupe d'hommes, tous du même âge. Ils titubent sur le marchepied. Même apparence. Basculent à l'intérieur. Bruyants. Leurs paroles déformées me parviennent à travers un brouillard incompréhensible et des bouffées d'alcool. Ils bousculent les dormeurs qui pourtant paraissent ne pas les remarquer, comme si la scène se rejouait encore et encore. Je tente de faire de même. Reporte mon regard au loin, mais la nuit est tombée. L'odeur tiède qui passe sur mon visage est une caresse écœurante. Je l'évite en traversant comme dans un rêve la gare immense, ponctuée d'idéogrammes lumineux, mes pas ponctuent à peine le sol, je passe en fuyant le portillon qui claque derrière moi, et me retrouve sur le parvis, au pied des tours immenses.

La ville me revient comme un ailleurs rêvé, dans un souffle d'air marin et inconnu.

1 commentaire:

  1. Tu sembles toujours être en quête d'un ailleurs et quand tu t'aperçois qu'il est difficile de l'approcher, tu pourrais être à Paris, New York ou ailleurs, tu le trouves !

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