Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 28 mars 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 17 (partition)



La partition tremble un peu dans ma main. Signes noirs griffonnés sur des pages blanches, qu'une prudence précautionneuse a numérotées de un à dix-sept ; elles ne tomberont certes pas, ne m'échapperont pas, puisque je me retiens à elles, qui vacillent dans l'espace, à mi-hauteur, même si ma main glacée se crispe. Je m'avance dans le vide de cette lumière artificielle. Il manque sous mes doigts la douceur du violon, son bois tiède.

Dehors, il tombe une pluie tiède venue d'ailleurs (elle a traversé des mers inconnues de moi) sous laquelle j'aurais aimé marcher des heures… au hasard des pas indécis, abandonnés à l'immense…

Il faut suivre le fil invisible et tendu des pas, puis celui, plus invisible encore et plus tendu de la pensée, se retenir à lui. Retenir les regards. Agripper les esprits dans l'ouverture béante de la scène — elle m'enferme, m'enserre, les limites spatiales en sont fixées pour exactement quarante-cinq minutes dans le temps desquelles la discussion est comptée. Pause. Café. Plus tard. De 14h45 à 15h15 mais nous n'en sommes pas là.

J'aurais regardé les façades des immeubles se refléter dans les flaques d'eau, tremblées sous les risées du vent, dans ces minuscules océans…et ma mémoire photographique s'en serait imprégnée autant qu'il est possible…

Le silence pèse soudain sur mes seules épaules ; à travers lui, compact et brut, il faut lancer ma voix. La première phrase est la plus assourdissante ; il faut passer du silence au bruit, de l'immobilité au mouvement autour de l'axe resté immobile de l'âme, comme aurait dit Aristote. Ensuite, les mots se lient les uns aux autres, il faut, à l'évidence, que tout soit contenu dans la première phrase tenue jusqu'à la fin. Dans une langue qui n'est pas la mienne, traverser tous les écarts.

La pluie, les rêves, les souvenirs, les phrases auraient infusé les uns dans les autres jusqu'à délivrer un étrange parfum. Philtre imprécis et inutile des souvenirs.

Puis le choc frontal et violent de la discussion. Carnassiers. Je connais le jeu. Il m'indiffère.

Dehors, le plus loin possible de tout, j'irai manger une soupe brûlante et parfumée, dans un restaurant minuscule et plein de buée, j'écouterai sans les comprendre les phrases qui voleront autour de moi, reliée seulement à leur musicalité, dans la douceur du décalage.

3 commentaires:

  1. laissons infuser cette pluie diffuse mais ô combien rafraîchissante, combien apaisante
    laissons revenir à nous cette pluie en cet instrument fait de végétal.. le bâton de pluie
    retrouvons alors ce souvenir de ces accalmies en nous

    RépondreSupprimer
  2. http://books.google.fr/books?id=RmA-AAAAYAAJ&pg=PA503&dq=Certaines+vertus+morales+sont-elles+en+nous+par+infusion%3F+(Thomas+d'Aquin,&cd=1#v=onepage&q=&f=false

    olivier

    RépondreSupprimer
  3. À te lire la pluie est indéniablement plus poétique que le soleil. Je demeure toujours suspendue à la chute de tes carnets :

    ''j'écouterai sans les comprendre les phrases qui voleront autour de moi, reliée seulement à leur musicalité, dans la douceur du décalage.''

    J'm. Merci!

    RépondreSupprimer