Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 7 mars 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 17 (insomnie)



Il n'y a rien d'autre à faire, à ce moment là de la soirée, qu'à marcher, entre les obligations du jour (elles ont sombré dans le passé) et l'insomnie nocturne (elle se profile). Il doit être possible de gagner un peu de temps, en jouant sur les déplacements dans l'espace, pour n'être pas enfermé entre les murs d'une chambre dans laquelle, pour quelques heures encore, il sera impossible de dormir.

Il vaut mieux sortir. La pluie tombe. Une pluie fine, presque tiède ; sous elle, on pourrait marcher des heures. Elle ne gêne pas la pérégrination dans la ville. Les pas luisent, laissent une trace fugace sur le bitume des trottoirs. Sur eux, les reflets se jouent des lumières innombrables, capricieuses, électriques : elles clignotent sur les façades immenses d'immeubles qui, dans la nuit, ne sont rien d'autre que le support de ces fantasmes de consommation, puis tombent du ciel, rabattues par cette averse sur le sol, où elles se redéploient dans l'horizontalité.

Pendant que je m'absorbe dans cette transformation des lignes, un autre glissement, tout aussi calme, se produit. Je m'étais arrêté à un carrefour, et voilà que la masse compacte des parapluies transparents, qui, tous, attendaient un signal pour traverser, se met en branle, calmement. Ils approchent. Des myriades de parapluies transparents, qu'on achète pour quelques yens, un peu partout dans la ville, et à travers lesquels il est encore possible de voir les clignotements discontinus des enseignes. Moi-même, je crois, en avais un que j'ai dû abandonner dans les arcanes insondables des douanes et de l'aéroport, au retour.

La foule arrive à ma hauteur. Je ne bouge pas. Elle se fend pacifiquement, comme un ban immense de méduses qui s'ouvrirait sur les flancs d'un rocher, emporté par un courant. Je ne bouge pas. Aucun d'eux ne me bouscule. Ils vont leur chemin précautionneux, flottent au-dessus du sol, se fendent quand ils arrivent près de moi, et glissent dans la ville qui les absorbe et les éparpille au loin, dans ses méandres innombrables.

Un peu plus tard, il me faudra admettre ma défaîte, renoncer à m'abandonner aux milliers de cheminements possibles qui auraient pu me porter tout au long de la nuit, retrouver non sans mal le chemin jusqu'à l'hôtel, en me défiant des ruelles étroites dont j'ignorerai tout, et retrouver la fixité du lieu.

Les heures d'insomnie s'égraineront, je le sais déjà, à regarder les lumières qui fractionneront ma nuit.




2 commentaires:

  1. ça grouille à toute heure à Tokyo ! De quoi occuper les nuits blanches et compter les reflets sur les parapluies translucides.

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  2. ...Elle se fend pacifiquement, comme un ban immense de méduses qui s'ouvrirait sur les flancs d'un rocher, emporté par un courant...

    Quelle poésie! J'adore. Je voyage dans vos bagages qui sont toujours avec vous au Japon...

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