Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 9 avril 2011

L'∞, 102

J'étais pourtant bien allongée sur la pierre blonde et dorée. Je ne comprends pas cette histoire. Je peux te dire encore une fois comment la scène s'est déroulée, mais je ne peux pas expliquer pourquoi elle s'est développée ainsi, et je ne changerai pas un mot à mon récit. Je n'ai pas la clef, je ne sais pas pourquoi les choses se sont . On n'a pas toutes les clefs. Quand l'ombre massive et opaque d'Ulysse s'est interposée entre le soleil et moi, j'étais, de cela je suis certaine, allongée sur le bord extrême de la terre, juste au dessus de la mer horizontale et étale.

Parfaitement étale.

On peut recommencer la scène si tu veux, si tu ne me crois pas, on pourrait même la rejouer autant de fois que tu le voudras, je suis sûre que, dans les premières secondes de cette histoire, je ne fais rien, je suis immobile, à même le sol, je laisse ma peau se gorger de la chaleur de cette pierre. Toutes mes impressions sont concentrées, là. S'il en faut une preuve, tu peux m'en croire, puisque mes pieds nus jouent avec une anfractuosité de la pierre. Je m'en souviens parfaitement. Je veux bien, par exemple, n'être absolument pas physionomiste, certainement je serais incapable de me reconnaître si je me croisais dans le monde, ou si je croisais mon double, mais il y a une chose dont je suis certaine, dont la certitude n'achoppe sur rien, ce sont mes impressions. Je n'ai aucune défense. Elles s'impriment en moi. Je n'y peux rien. Je n'ai aucune défense, ça me permet au moins de te dire ce qui s'est passé. Et je suis sûre de ne pas me tromper.

Donc j'étais allongée au bord de l'eau. Je ne bougeais pas. Je sentais seulement la manière qu'a le soleil, quand il commence à être estival, d'écraser de toute sa force, de tenir contre le sol, de retenir de tout mouvement, et de toute tentative. C'était la première fois de l'année que j'avais cette impression, alors je la prenais très au sérieux et je concentrais toutes les forces de mon esprit sur elle. À ce moment-là, Ulysse m'a parlé. Et j'ai eu tout à la fois, si tu ne fais pas attention à tout ce que je dis, si tu ne retiens cela, cet adverbe temporel, tu ne vas rien comprendre, et toute la scène est très complexe, alors écoute-moi, j'ai eu tout à la fois l'impression de me noyer, mais c'est impossible, je ne me noyais pas puisque j'étais allongée au bord de l'eau, et que la mer était étale, et qu'Ulysse attrapait, de toutes ses forces, mes mains et me tirait hors de l'eau.

Je ne peux pas t'en dire plus.

Ou du moins je ne peux pas le dire autrement. Je me noyais et je ne me noyais pas. Ulysse m'a attrapée par les mains et Ulysse ne m'a pas attrapée puisque je suis restée, ensuite, aussi immobile que je l'étais. Il m'a sortie de l'eau et il ne m'en a pas sortie, puisque j'y étais et puisque, aussi bien, je n'y étais pas. Les deux sont vrais tout en même temps, voilà qui ne serait pas pour plaire au vieil Aristote, mais ce n'est pas très important.

Ce dont je suis certaine, et cela non plus tu ne peux pas le démentir, et tu ne m'en feras pas changer d'avis, je ne bougerais pas d'un pas, c'est que tout le jour durant, après cela, après les quelques paroles que nous avons échangées, j'ai eu tout à la fois l'impression d'être épuisée, et d'être saine et sauve. Je ne peux pas t'en dire plus.

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