Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 18 avril 2011

L'∞, 119

Entre deux mondes, et le courant est violent.

Il semblerait qu'il exige impérieusement qu'on choisisse de porter ses pas, ou dans un monde, ou dans l'autre, qu'on penche, ou pour l'un ou pour l'autre, mais qu'on ne demeure pas ainsi, nulle part, entre les possibles marins et les possibles terrestres, indécis et fasciné. Indécis et fasciné entre deux mondes, où alternativement se suivent et se succèdent marée montante et marée descendante, aux accentuations fortes, aux courants transparents, les mouvements immenses de la mer. Je me suis échouée là, entre ces deux mondes, au moment où l'une se terminait, où l'autre commençait, mais cela aurait pu être l'inverse, je ne sais pas ce qui en aurait été changé si l'inverse s'était produit, si j'avais été là, entre deux mondes, au creux d'un autre mouvement des eaux.

Entre deux mondes, le sol est lissé du passage des vagues, qui avancent et repartent, au point que l'écume s'étale à l'infini, voile blanc qui recouvre les pas de son effervescence. Monde des contraires compossibles presque dans le même temps, de leur affirmation et de leur négation.

Les méduses mortes, transparentes, translucides, aux filaments flottants et souples, échouent là comme des rêveries oubliées, redevenues silencieuses sous l'effet épuisant de l'oubli, échouent telles des mots dont on ne se sert plus, dont on a oublié l'usage, pour confier nos tristesses à qui ne nous écoute plus, semblables en tous points à cela, ou encore à des incertitudes abandonnées qui un temps nous avaient inquiétés, au creux de nos nuits sans sommeil, redevenues indifférentes, et que l'indifférence dont nous les entourons emporte à la dérive. Elles se laissent déposer là, indifférentes à elles-mêmes, idéal ataraxique et flottant du sage stoïcien, sur cette langue de sable qui, bientôt, disparaitra de sous mes pas, il faudrait qu'ils me portent ailleurs, au loin, dans un monde ou dans l'autre, cette position entre deux mondes est instable et provisoire autant qu'il est possible, autant qu'il se peut, demeurer plus longtemps à la frontière de possibles opposés ne pourra pas se faire, une proposition et sa converse, dont l'une seulement sera affirmée par les lèvres rouge sang, tandis que l'autre s'en ira flotter très loin de toute conscience, au creux de l'oubli et du silence.

Une masse déformée, semblant un cadavre de chien, détourne mes regards. Ne pas s'arrêter.

Je me concentre absolument sur l'infime, coquilles, brisures, striures, le sable portant provisoirement sur lui la trace des vagues, lignes de crête de leur avancée, interminables, l'effervescence surprenante de l'eau qui traverse le sol et le pique de toutes parts de galeries minuscules et verticales, suppose-t-on, éclats de verre émoussé par les vagues, et leur roulement infini, des algues déchiquetées en fin lacis végétal et foncé sur le sol doré, je me concentre sur l'infime qui est tout cet entre-deux-mondes provisoire. L'oubli est impérieux autant que les vagues.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire