Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 10 avril 2011

L'∞, 103

À partir de là, je me suis tenue à cette impression. Je m'en suis tenue à elle. Celle exactement, toujours la même, qui se manifeste chaque fois, au sortir de l'eau.

L'équation qui se complète et se recompose à chaque fois que le corps entre dans l'eau fait trouver des résultats ∞ment divers, la seule constance de notre monde est d'être inconstant, Héraclite nous en a avertis il y a bien longtemps, il a posé le problème, et personne, jamais, n'a trouvé de solution à cela, les changements de l'eau relèvent de son essence même, nous ne pouvons avoir aucune assurance qu'elle aura le même goût sur les lèvres, qu'elle complètera de la même manière l'équation dont le corps et le sol sont les deux autres inconnues (mais au moment où nous en sommes du calcul, elles ont déjà été trouvées et seule la mer demeure capable de tout faire varier à nouveau), les courants se dessinent, les vagues portent différemment, ou retournent à leur manière le corps qu'elles ont commencé par soulever, l'écume en éclaboussures entre dans les yeux, les fait pleurer, certes, mais les larmes se mêlent à l'eau salée, et disparaissent aussi vite de nos pensées… on pourrait s'y perdre, s'y noyer…

Passons à un niveau d'abstraction plus élevé, il est possible après tout que le changement de point de vue soit pertinent et nous donne, sur la question, une position mieux assurée, plus ferme, décisive … (personnellement je n'en crois rien, je me suis trop souvent promenée dans les abstractions de l'esprit, j'en connais assez bien les chemins pour savoir qu'elles sont mouvantes et traîtresses comme des lames, mais je veux bien essayer) : il suffit de penser à toutes les heures à lutter contre le courant, il suffit de penser combien ∞ment différentes elles sont, toutes, et il devient incompréhensible que personne, jamais, ne prenne la peine de les raconter, en se noyant dans les détails et dans les flots, tout à la fois.

Et si seulement cette prémisse est accordée à mon raisonnement, alors on se prend à penser à toutes les vagues que jamais, personne, n'a pris la peine de raconter, on ne peut plus les écarter de sa pensée, à toutes les vagues qui déferlent comme la part silencieuse et bruissante du monde, et soudain cette part silencieuse l'emporte ∞ment sur tout ce que nous pourrions dire, elle anéantit tout ce que nous pourrions dire tant nous parlons, avant même que nous ayons commencé à parler, la défaite est inscrite dans le silence qui précède notre première phrase, et nous comprenons soudain que nous sommes au centre d'une gangue de silence dont nous ne savons pas nous échapper, que nous ne savons pas attaquer, encore moins fissurer.

Et chaque fois que les vagues rendent à la plage de sable ou de galets un nageur, le corps retrouve la verticalité des pas après l'horizontalité des mouvements, et la même impression se renouvelle. Les flots le rendent à lui-même, la pesanteur se recompose en lui, reprend ses droits, sans doute, dans l'obscurité de la chair, les articulations se réajustent-elles les unes aux autres, et on se reprend, aussitôt, à rêver de la mer.

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