Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 21 avril 2011

L'∞, 125

J'avais mal vu. Je n'y peux rien. Marchant dans les pas d'Ulysse, je vois avant toute chose, dans le rapport au réel, entre le lieu et moi, sa silhouette haute et décidée. La chaussée rectiligne entre les deux mondes n'allait, pas, comme d'abord je l'ai cru, de nulle part à ailleurs (fuir x étant ma préoccupation constante dans ce monde instable où je ne fais rien d'autre que fuir mon Ithaque inversée et contradictoire qui ne cesse de se rappeler à moi et dont, même ici, le numéro est encore susceptible de s'afficher, entre nulle part et ailleurs, sur l'écran de mon iPhone, cette hypothèse me convenait parfaitement et me semblait une description très satisfaisante de ce lieu).

Il était surprenant, certes, j'en conviens, qu'une telle chaussée magnifique et parfaite eût été dans un autrefois magnifique, tracée d'un seul trait rectiligne sur le sol bosselé et instable. Je ne peux pas dire que, lors de cette avancée incertaine, je ne me suis pas posé la question. J'ai même dû la poser à Ulysse, mais il était de dos, un peu trop loin de moi, et le vent, sans doute, a emporté mes paroles. Où vont les paroles que le vent emporte ? Où vont-elles, sur la mer infinie, se perdre ?

Les pierres ne cédaient pas aux tentatives des mousses, nulle part elles ne cédaient aux efforts conjugués des coquillages en nuées, elles restaient parfaitement immobiles et supportaient les hésitations ondulées des anémones de mer dans les risées minuscules que le vent ne cessait de jouer dans les flaques d'eau salée. Elles étaient, semblait-il, tout aussi ignorantes des marées et des tempêtes qui, je le sentais de toutes parts, ne pouvaient pas manquer de traverser ce monde. Partout il en portait la trace. Sauf sur ce trait rectiligne et parfaitement ajusté.

Je ne parvenais pas à comprendre comment, dans ces sables (ils auraient dû être mouvants, plusieurs fois lorsque je trébuchais, je pensais que ce sol ne me porterait pas très loin et qu'il allait se révéler mouvant et traître), une telle certitude rectiligne s'était imposée. Les pierres de taille, qu'on devinait blanches et lisses par endroit, refusaient obstinément au temps de se disjoindre. Et par endroit les pas étaient presque assurés. C'est en levant la tête, il fallait pour cela faire effort contre le soleil, et les yeux devenaient alors une fente très fine, semblables aux yeux des félins, que je vis le lieu du monde où Ulysse m'emmenait, et que toutes choses se remirent en leur place.

Nous avancions vers un coquillage élancé et pâle, qui pointait à la verticale vers le ciel, et dont je ne voyais pas l'extrémité dans la brume de mer.

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