Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 7 avril 2011

L'∞, 97

Un bateau sort du port, calanques, touristes en mal de mer ulysséenne, plutôt mourir que me mêler à eux, y transporter mes rêves. Je trouverai seule, ailleurs, comme je pourrai, ma mer ulysséenne, et Ithaque ne me sera pas le but d'une excursion. Conventionnée, conventionnelle. L'assurance est comprise. J'ai mauvais caractère.

La mer ulysséenne, 17 euros pour les adultes, 9 euros pour les enfants, ça fait le rêve organisé à moins de 20 euros. Est-ce cher, trois heures de rêve organisé pour 17 euros, ça fait l'heure à moins de 3 euros, c'est pas mal, non ? Le bruit m'en parvient, me fait ouvrir les yeux, et dans la perspective qu'ils ouvrent, entre mes cils, le vent emporte une feuille de journal qui tombe dans l'eau, dans les remouds, le vent claque, de nouveau, un souffle, une respiration, le soleil brûle, j'en conviens, mais à quoi bon vivre, sinon ?, le vent emporte mes pensées.

Les touristes s'alignent en ordre, dociles, cherchent l'ombre, se glissent dans l'espace qu'on leur accorde, entre des cordons à l'ondulation régulière et ordonnée, un peu menaçante, une fille s'avance sur le ponton, attirée par le rêve, en minijupe et bottes fourrées à talon, invraisemblable et sympathique dans son fragment de rêve, un homme la hèle, signe de revenir, de la main, impérieux, agacé, la voix sèche et tonitruante, elle obtempère sans rien dire, son rêve ulysséen lui échappe, elle rentre dans le rang, une de mes pensées dérive sur l'eau mais je ne la retiens pas, elle reviendra peut-être au gré des courants, ou ne reviendra pas, cela n'importe pas.

Juste à côté d'eux (moi, sans doute, je ne suis nulle part, je regarde, et je ne suis nulle part, regard sans perspective, je cherche Ulysse, et ce monde est transparent, un étrange défaut de vision me fait voir ce monde en deux dimensions, il m'a fallu inventer la troisième, je l'ai choisie à mon idée), à côté d'eux, mais dans un tout autre espace, qui n'a rien en commun avec le premier, aucun interstice, aucun passage, superposition de strates différentes de la réalité, je n'y vois pas de passage, sinon la superposition de deux espaces, hors de portée des uns, inatteignable, absolument,

les marchands de poissons referment leurs étals minuscules, polystyrène blanc qui recueille, des myriades de sardines, des daurades, des étoiles de mer flamboyantes et pourpres, comme celle qui autrefois, minuscule, s'était enroulée autour de mon doigt, bradent les derniers kilos de leur pêche, un vieil homme tient dans sa main une minuscule forme ronde et brillante encore de la mer qu'elle vient de quitter, dans laquelle elle était, et assure qu'elle porte bonheur, fragment de rêve ulysséen, que je préfère ne pas dessécher dans ma paume.

Rêves fragmentaires. Mosaïque d'impressions. Le monde est à recomposer.

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