Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 23 avril 2011

L'∞, 130

Qu'y faire ? Vient un moment où on est si éloigné de soi qu'il n'y a plus qu'un seul possible, qui rouvre tous les autres, comme une ombelle énigmatique et translucide dans l'air immobile du soir : aller de l'avant. Ne plus revenir. Ne plus regarder
par dessus son épaule. Au point où on en est ... rien d'autre ne pourrait avoir de sens, au regard de ce vide dans lequel nous avançons, que de tout confier au langage, de suivre les méandres et les déambulations des phrases, qui seules traceront quelque cheminement jouable, plonger ses mouvements en elles, comme dans un courant invisible et initial, et ne respirer qu'en fonction de leur ponctuation. Fidèlement. Au regard de leurs articulations, de leur rythme, de leurs plongées, de leurs apnées.

Parfois la violence des rythmes hâche le souffle et presque, le couperait, hachure les élans, les lance, puis tout aussitôt les arrête, au point que, étrangement, il n'y a pourtant que là que l'air ne soit plus étouffant alors.

Je m'aperçus alors que dans ce vide pâle, l'air lacéré sans répit des incisions féroces du vent, cependant même qu'il soufflait, restait tiède et presque écœurant par endroit. Le froid glacé de mes vêtements trempés d'écume et d'embruns ne suffisait pas à me le cacher plus longtemps. Quelque chose comme une vie ∞e et tiède se tenait encore ici, immobile. Je n'aurais su dire d'où venait cette impression qui fit que, un peu plus encore, je me rattachais à l'ombre d'Ulysse, à sa forme de plus en plus sombre et silencieuse, au fur et à mesure que tournaient les heures autour de la spirale envoûtante et blême de l'escalier. Car, il faut bien l'admettre, la première impression en fut presque nauséabonde.

Entre deux mondes, je me rendis soudain compte du profond dégoût que m'inspirait cette tiédeur.

Qu'y faire ... Évidemment marcher, suivre Ulysse, je te suis parce que je suis toi, et je suis capable de ruses, aussi dures que les tiennes, et si je n'en suis pas capable, je les apprendrai, très exactement. Je suis capable de la même cruauté qu'Ulysse riant de la souffrance qu'il infligea à Polyphème. Je peux tout autant que lui apprendre à en rire. Tout cela m'est bien égal et toutes choses étant égales, il faut passer.

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