Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 4 mai 2011

L'∞, 136

Ce qui fut étrange, au retour, ce qui me fut étranger et pourtant resterait en moi, longtemps, sans doute ne me quitterait pas, ce fut le léger vertige qui me prit quand il fallut poser le pied sur le quai, et revenir sur ce que l'on appelle la terre ferme (pourtant à plusieurs reprises, déjà, elle m'a fait montre de sa traîtrise).

C'était comme échouer de ce rêve sur les berges du réel.

Mais quelle manière d'échouer était-ce ? Pourtant rien ne bougeait sinon, en moi, quelque mécanisme subtile qui semblait, au contact d'un univers trop violemment onirique, s'être détraqué quelque peu. Presque rien, pas grand-chose, un décalage minuscule s'interposait, en manifestant une obstination certaine, décalage, je m'en souviens bien, entre l'horizontale du sol, et la verticale de ma stature, sans doute, passant par mes vertèbres et remontant toute la ligne de ma verticalité. Une inclinaison, une inclination, qui aurait su le dire ? Incliner, s'incliner, incliner à, les variations sont possibles. Mais elles ne me donnent pas la clef et ne délivrent pas de leur silence.

Certes le quai était horizontal. Certes le sol était parfaitement immobile et tenait sa ligne avec indifférence. Certes rien ne paraissait changé depuis notre départ. Mais mon assise n'était plus la même. Encore ne devrais-je pas parler d'assise. Qu'on ne me parle plus d'immobilité ! Il s'agit bien d'immobilité ... Il n'en est plus question, il ne sera plus question d'immobilité. Mais ... trouver une stature verticale, une stature qui permette d'avancer, oui, exactement cela, cette seule condition se pose, et la mienne, après ce long détour ulysséen, n'est pas demeurée inchangée.

Comme le bâton qui, trempé dans l'eau, parait courbe alors qu'il ne l'est pas et que Descartes, sans doute, au bord d'une eau transparente, a longtemps regardé, alternant les possibles, les uns après les autres, et dont il a dû, souvent, recréer l'image en son esprit, afin de reformer la déviation nette qui paraît alors, afin de saisir par quel mécanisme étrange, par quelle loi subtile de l'optique, le bâton, trempé dans l'eau, paraît courbe alors même qu'évidemment il ne l'est pas et qu'il suffit de le sortir pour, de nouveau, le voir tel que nous savons qu'il est. Mais le savoir droit ne suffit pas à écarter L'illusion des sens et les sens, avec obstination, refusent de plier et nous présentent courbe le bâton parfaitement droit, à dessein choisi tel, que nous trempons dans l'eau.

Or moi, sortie de rêves violemment maritimes, semblais subir une inclinaison inconnue et ignorée de moi, incertaine toutefois, qui rendait le quai aussi mouvant que les vagues mêmes que je venais s'abandonner.

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