Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 21 mai 2011

L'∞, Épilogue 8

Ce n'était plus le moment d'hésiter, cette fois, il était venu, le moment précis, exact comme le jugement dernier, de ne plus hésiter, de passer outre, d'outrepasser les limites, celles imposées par le monde, celles qu'on s'impose à soi, celles qu'on ne sent que lorsqu'on les heurte de plein fouet, un soir d'été. La mer était étale, parfaitement. Presque tiède. Je nageais vers l'horizon, droit vers l'horizon, ne nageant que pour lui, pour une ligne horizontale et fascinante, inatteignable, impossible à rejoindre, bordure du monde, capable d'aimanter l'esprit, et les yeux, et parfois les forces mêmes du corps, décidément, il vaut mieux se tenir à distance de cette ligne horizontale, au-delà de laquelle les anciens pensaient qu'on basculait, bord du monde, bordure du monde, qu'on ne peut pas voir autrement que comme une ligne, comme ils la voyaient, et ensuite, assis au bord du monde, on pouvait décider de basculer ou de ne pas basculer, de tenter de revenir, ou de partir tellement plus loin que c'était précisément là d'où on ne revient jamais.

Je nageais vers l'horizon, pensant à cela, seulement cela, un mouvement et puis un autre, respiration indexée exactement sur les mouvements des bras, une fois, deux fois, trois, quatre, respirer, recommencer, toujours, ce qui compte c'est le rythme, tenir les mouvements, visage dans l'eau, le sel brûle un peu les yeux, mais au fond de moi j'aime cette brûlure, une fois, deux fois, trois, quatre, respirer, le besoin de respirer qui ne quitte pas oblige les mouvements à être réguliers et tendus, décidément, j'ai souvent besoin de respirer, je ne vois pas comment, avec un tel besoin de respirer, je pourrais filer éternellement les immobilités bleues, mais ce soir, oui, c'est immobile, et l'horizon paraît presque à portée de moi, alors un mouvement et puis un autre, une fois, deux fois, trois, quatre, mon visage est dans l'eau, retrouver un peu d'air, la tête se tournant d'un côté, de l'autre, alternativement, tenir le rythme, tous les mouvements du corps se répondent les uns aux autres, et surtout, tenir le rythme de la respiration parfaitement indexée sur les mouvements du corps.

À un moment, je juge que je suis assez loin. Je les arrête. Le rythme se brise. Je me retourne pour regarder à quelle distance je suis obstinément parvenue de la côté, espérant ne voir plus que des silhouettes minuscules et colorées, presque rien, des épingles, espérant être soulevée mollement par les vagues presque imperceptible, ne faire que cela, quelques instants, retrouver un peu d'immobilité, entre le monde et l'horizon, je dois être à mi-chemin entre le monde et sa bordure verticale, sa bordure, vers quoi je tends, qui se perçoit seulement par le fin trait horizontal qu'elle trace à la limite de mon champ de vision. Je dois être à mi-chemin entre le monde et sa frontière, reposée par les vagues, bercée par elles, soulevée, puis reposée, un peu plus bas, parfois je vois la côté, ou l'horizon, parfois, je suis dans un désert liquide mêlant le bleu au vert et au gris.

Je ne sais pas pourquoi, à ce moment là, sans que j'y sois pour rien, sans que, en rien, je l'aie sollicitée, une phrase a traversé mon esprit, a choisi elle-même ses propres mots, son ordonnancement, son rythme propre, puis est venue, s'est fichée en moi, profondément, a transpercé mes peurs :de là où tu es, tu ne pourras jamais rentrer.

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