Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 18 mai 2011

L'∞, Épilogue, 4

Je ne sais pas combien de temps la statue avait attendu ainsi, dans les strates de sable et de poussière, impassible, silencieuse dans les effondrements de matière pulvérisée, qui sur le grain parfaitement lisse de ses bras, de ses épaules, ne trouvait pas d'accroche. Sans doute, évidemment, je n'en savais rien mais je le sentais, ainsi appuyée sur elle, je le sentais, j'en avais la certitude la plus intime, elle avait attendu que le vent, de nouveau, la caresse, que le soleil réchauffe son marbre lisse, que la pluie coule en larmes sur ses joues, inonde son visage, je n'avais aucun mal à le deviner, elle attendait, à travers le temps ∞, le traversant calmement, que la main d'Ulysse, retournée, efface les traces de poussière et de pluie sur son visage et sur son corps.

Tout en elle m'était étranger, et son indifférence même m'était indifférente, je choisis résolument de la traiter comme le morceau inerte de matière qu'elle était aussi, après tout, en dépit de la légèreté de son drapé de pierre, en dépit des regards d'Ulysse sur elle, au point que je lui tournais volontairement le dos, pour regarder la mer, m'adossant à elle, immobile et impassible, pendant qu'Ulysse la regardait.

Ses regards, cette fois, pour la première fois, me traversaient. Ulysse la regardait, je regardais la mer, les regards rebondissaient sur moi, sur le creux palpitant de mon cou, sur les mèches de mes cheveux que le vent emmêlait, je m'opposais à eux, regards d'Ulysse attirés par elle, impassible et muette, mais dont je sentais la fierté lisse de ces regards posés sur elle depuis si longtemps ignorée, qui mettaient un terme net et clair à sa solitude et qui sur elles, se faisaient caressants, je me repliais dans un refus silencieux et obstiné de glisser un peu de côté, je refusais résolument de remarquer que, sans doute, je lui cachais un détail qui l'aurait éclairé, un repli de son drapé, une attache un peu effacée. Il voulait la reconnaître, et je n'avais pas envie qu'il la connaisse. Moi aussi, je pouvais être silencieuse et obstinée.

Plus je m'obstinais dans l'immobilité, plus je sentais, contre son marbre lisse, le grain de ma peau, et la palpitation de la vie en moi.

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