Je m'en souviens très bien. Je pourrais, sur ma vie, en faire le serment. Autrefois les nuits étaient pur apaisement. Ligne tirée jusqu'au matin. Elles y menaient sans à coup. Je me souviens de cela mais le souvenir n'est que sèche abstraction, il s'emploie jusqu'à l'épuisement à empiler des mots silencieux les uns sur les autres en dehors de toute signification pleine. Les tensions se résolvaient dans l'oubli, maintenant j'en suis sûre. Le voile du crépuscule s'étendait sur le monde, telle, la lumière fumée dont Vinci a conservé si longtemps le secret dans le fond de son atelier, derrière pinceaux et vernis, cette fumée légère qu'il répandait sur ses portraits et qui fait qu'à jamais ils nous échappent. Alors, je m'en souviens, le monde reculait d'un pas, il s'écartait légèrement, très légèrement, ma main ne pouvait plus tout à fait le saisir, un léger décalage, une oblique dans les rayons du soleil, tout simplement, et tout basculait et l'oubli recouvrait nos rêves de sa caresse inouïe.
Alors je ne comprends pas pourquoi cette nuit est telle. Je n'y arriverai pas.
Tout est parfaitement réuni pour l'apaisement du jour, j'en conclus que ce doit être moi. Ce ne peut être que moi. Le silence s'étire indéfiniment. J'ai fait semblant de croire que je pourrai dormir. Il a dû manquer dans le rituel une étape dont l'absence a offensé les dieux tapis dans le hasard bruissant. J'ai fait semblant de croire que cette chambre inconnue m'accueillerait pour la nuit. Dépossession de soi. J'ai fait semblant d'en chercher la protection. J'ai trébuché sur le seuil, une latte de parquet a craqué, une autre encore, et les repères m'échappent. La fenêtre ouverte ne laisse entrer aucun air. Rien ne respire. Ma respiration me heurte. J'entends très bien les battements de mon cœur dans mon oreille. Je fais semblant de croire que cela me bercera, que l'obsédante répétition du même jusqu'à ce qU'il devienne intolérable pourrait m'aider à dormir. Je fais semblant de convier mes rêves.
Rien. Je n'y arriverai pas.
Il y a encore une solution, je le sais bien, encore un espoir de traverser l'immensité de ces ténèbres, si seulement je renonce à me mentir, m'allonger, tourner mon visage dans l'oreiller, sentir le frais de la trame de lin, sentir, les plis minuscules, et sangloter jusqu'à la pâleur inverse de l'aube.
vendredi 30 juillet 2010
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"sangloter jusqu'à la pâleur inverse de l'aube." Pétard, ça c'est beau !
RépondreSupprimerJ'ai toujours adoré cette interjection explosive !
RépondreSupprimerla tête à l'envers
RépondreSupprimerde l'autre côté de la terre
une autre vie
au pays des sushis