Marcher pieds nus demande des précautions intenses que je ne prends pas. Les cailloux, les éclats de verre, les tessons, tout ce qui blesse se doit repérer, sentir, avant que d'avoir pu s'enfoncer dans la chair. Et de l'inciser. Le pieds se pose sur le sol non sans une certaine inquiétude, et les différences du lieu et du temps se sentent ainsi, bien avant la verticalité et le regard froid sur le monde. Pierre chaude de midi, sable frais et humide de la proximité de l'océan, je connais les lattes de plancher qu'il faut éviter pour ne réveiller personne quand l'insomnie saisissante ne desserre pas son étau, je sais reconnaître les instants infimes où il faut inverser le mouvement, arrêter la marche et éviter la blessure. Contact attentif avec la surface du monde. L'attention nous distrait de nous.
Le déroulement de la marche est plus léger et laisse moins de traces sur le monde, sans talons aiguilles qui martèlent le sol et claquent dans le silence. Il devient possible de se déplacer sans bruit. Il devient possible de se déplacer en équilibre à la limite du désespoir, sans attirer sur soi la colère des dieux. Ligne de partage des eaux salées des larmes sur laquelle il ne faut pas transiger, ligne de crête et de vertige qu'il faut tenir sans rien regarder d'autre que le pur équilibre, moment qui n'est ni dans l'avant ni dans l'après, seul capable de nous mettre à l'abri des âpretés du monde. Équilibre incertain.
Je ne regarde rien d'autre que cette ligne de partage des eaux au-dessus de la brume de vallée. Il faut ne pas brusquer le monde. Bouger le moins possible. Oublier les souvenirs heureux aussi bien que les souvenirs malheureux. Je ne sais pas lesquels sont plus douloureux. Je n'arrive pas à déterminer lesquels s'enfoncent les plus profondément dans les chairs et font les blessures les plus profondes. Incision du bonheur perdu ou du malheur récurrent, et retour lancinant des mêmes douleurs. Je ne sais toujours pas ce qui fait souffrir le plus.
Les rires perdus dans le silence de la nuit. Les affections éteintes. Les espoirs qui nous gardaient au chaud, dans leurs palpitations tendres se sont enfuis. Je me garde d'en regarder les traces. Il ne faut plus les raviver. Je tente seulement de laisser dans la poussière du monde la trace la plus légère possible. Que rien ne me retienne. Que rien ne porte la marque de mon passage. Je passe comme un rêve et ainsi la douleur devient stupidement supportable. Il ne faut pas trop déplacer les lignes, ne pas trop soulever de poussières et oublier l'été.
Je me souviens qu'autrefois, dans les rayons de lumière, de fines particules d'or tournoyaient. Un souffle accentuait leur danse. À présent, il vaut mieux rester immobile à la surface du monde.
vendredi 23 juillet 2010
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Bon sang, voilà une heure que je tournicote entre les titanesques pages de ce blog palpitant, l'heure toupille et je n'en vois plus rien. Rien d'autre que des mots qui s'enroulent en serpentin autour de mon cou. Je profite d'une respiration photographique toute bleue, frêles nuages à l'abordage de nos îlots d'attente. Tes textes sont rudement puissants et font grand plaisir à lire. J'imagine que caracolent publications derrière ce talent dompteur des sons et des images fortes. Equilibre justement. Mais au regret de troubler le calme de tes lacs, ne reste surtout pas immobile à la surface du monde : sillonne-le, pars, reviens, fouille, ravaude, crie tes phrases à la volée. Il faut que l'univers sache. Tu existes, et cette découverte vaut sincèrement le coup d'oeil puis le temps profond de la lecture. Du fond du coeur, Merci.
RépondreSupprimerMerci.... En écho venu du cœur aussi. Autant. Touchée.
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