Les courants dessinent des risées à la surface de l'eau. Les teintes sont si complexes que je ne sais pas du tout de quelle couleur est la mer. Aucune matière synthétique, aucune invention technologique n'a jamais eu, pour le moment, la versatilité des irisations de l'eau. L'Océan ouvre chaque jour la palette des possibles colorés et le gris et le vert se mêlent au bleu auquel s'adjoint une pointe de brun. Seul un regard transparent a cette profondeur colorée. Mais je ne tiens pas, pour le moment, à croiser qui que ce soit.
Je rêve d'ultramarin. De la brûlure ultramarine des bleuités. De tous ces mots qui ne sont pas les miens. Aller vers le Sud, et retrouver cette seule teinte intense et réelle, au bord d'un sable brûlant. J'ai des souvenirs intenses d'étés qui ne sont pas les miens et qui me reviennent sans que je les invoque, de baignades dans une autre mer dont mon enfance a entendu les récits, une mer perdue dans le passé et sur laquelle nous n'irons pas nous baigner au loin, dans la petite barque qui oscille au soleil. Il n'y en a pas beaucoup, une petite poignée de souvenirs ; je me les raconte en les déformant peu à peu.
Le paradoxe est là, bien présent dans la nébuleuse élastique de la mémoire. Je me raconte ces souvenirs, et me les racontant je les déforme et je les perds. Il n'y a rien à y faire. Il vaut mieux renoncer à la precision et se glisser dans un courant frais. Cette barque traverse mon passé, méditerranéenne et solaire, je connais celui qui d'un coup de rame, écarte les mouettes en la sortant de l'eau dans une gerbe d'éclaboussures ; les oiseaux menaçaient un grand chien noir, tournaient autour de lui et tentaient de lui crever les yeux dans le scintillement des vagues. Quand je me raconte cette scène, il s'y mêle une autre, qui n'est pas à moi, je l'ai lue autrefois dans ses livres, ils me parlent de ce qu'on ne m'a pas raconté de ce passé et tout s'est si intimiment mêlé que je ne suis plus certaine de mes souvenirs alors qu'ils sont pourtant si précis qu'ils laissent en moi des impressions photographiques. Un courant frais m'enveloppe à présent, je sens la différence de température, l'eau est beaucoup plus froide et il faut un peu lutter à cette heure matinale. Il vaut mieux m'en tenir à cela, ces impressions corporelles et fiables.
En m'éloignant vers le large, je dessine une ligne imaginaire qui me projette sur une autre côte. Qu'y aurait-il en face si je partais indéfiniment à la nage, droit devant, sans jamais dévier, sans jamais renoncer ? Je finirais bien par arriver quelque part, où, vraisemblablement, je serais mieux ... Non, c'est une autre rêverie, celle-là est de Descartes perdu dans sa forêt, elle n'est pas tout à fait appropriée ici, je l'écarte en profitant d'une vague qui me soulève et me repose un peu plus loin. Calculer la direction en fonction du soleil, tracer dans l'eau les lignes abstraites qui dessinent sur le monde les repères que les hommes se sont construit. Les noms défilent, je joue des méridiens, et des eaux internationales, je traverse le pot-au-noir, et les vents changent de nom, il faudrait un voilier, il faudrait traverser tous ces noms mythiques en sentant sur ma peau le goût du sel et la brûlure du soleil.
Je me tiens bien serrée contre la bouée jaune qui marque une frontière imaginaire. La plage, au loin, est absolument déserte.
lundi 12 juillet 2010
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