Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 2 juillet 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 20 (utopie)


J'ai fini par croire que tout cela n'était qu'une utopie. Je traversais des lieux sur une fine couche de glace. Mais après tout, nous marchons tous sur une fine couche de glace. Nous évitons tout geste brusque. Nous conjurons le désespoir. Nous détournons nos regards. Tout bruit trop aigu pourrait l'entailler, la fissurer, elle est déjà trop fragile. Alors nous oublions que nous marchons sur une mince couche de glace, mais tous nos gestes sont réglés sur elle. Et notre présence silencieuse ainsi traverse le monde.

Je me demande si tout cela n'est pas simplement une utopie. Rien n'empêche d'en modifier un peu la définition, de déplacer légèrement les lignes et de chercher un horizon pour nos rêves, aussi ténus soient-ils. Je me demande… Un lieu pourrait-il être sans strates surimposés de souvenirs et de discours en lui autrefois tenus, autrefois dits, autrefois ? Ma présence peut-elle y être claire et coupante et incisive, et n'admettre aucun compromis ? De sorte que mon profil peut se dessiner sur le mur, si précisément, laisser apparaître dans son ombre portée ce qu'il est impossible de deviner, et la fumée même de ma cigarette se fixera en volutes immobiles et nettes, parce que personne ici n'a tenu ma main pour ensuite la laisser retomber dans la solitude, personne n'a dit ce qu'il n'a pas tenu et n'a laissé les mots s'effriter, tomber en miettes. Personne encore ne m'a parlé pour retourner ensuite dans le silence de la mort.

Peut-être tout cela est-il strictement une utopie. Il suffit de s'avancer pour la première fois quelque part pour se sentir de nouveau vivant. Les sensations reviennent dans les membres engourdis et je sens battre mon cœur. Il suffit de remonter une rue inconnue dans une ville inconnue, pour que cesse l'étouffement et pour que s'éloigne l'angoisse. 

Alors, à condition que les couleurs et les sons et les odeurs qui montent quand la pluie tombe nous soient réellement inconnus, les possibles s'ouvrent en ombrelles, se ramifient dans le monde, et le souffle se fait plus léger. Mais ici les châteaux de sable de mon enfance se sont tous effondrés sous la poussée du monde, la mer de la mémoire est montée, elle a tout englobé, puis elle s'est retirée… et de tous les rêves ici il ne reste plus rien. 

Alors une utopie est l'endroit exact qu'il me faut. Passer le pôle. Redescendre. Traverser des mers inconnues et glacées aux premières lueurs du jour. Ne pas voir le mont sacré mais savoir sa présence. possible. Tourner à gauche. Sortir de l'aéroport munie de tous les timbres indéchiffrables. Et s'effacer. Quelque part… loin… dans la légèreté des pas de l'enfance.

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