Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 17 juillet 2010

Cahiers d'un autre été, IX (oublier)

Une vague et puis une autre. Elles déferlent. Les grandes marées affirment leur emprise sur l'espace. Le vent se lève. Ce qui est bien, c'est que ce déferlement ne s'arrête jamais, tous les autres mouvements cesseront, mon cœur cessera de battre, mes poumons n'aspireront plus d'air, ils se rempliront peut-être d'eau salée à la prochaine déferlante, je ne sais pas, mais ce mouvement-là ne cessera jamais. Son bruit se fera toujours entendre, quel que soit le silence du monde, même s'il ne berce plus aucune fatigue, même s'il n'accompagne aucun voyage.

Il n'est donc pas la peine d'attendre ni d'espérer, sur ce rivage. C'est peut-être cela que j'aime tant, au bord de l'océan. Tout lien avec l'avenir se dissout dans le sel. Je n'attends pas le retour d'Ulysse, le soir n'eteind aucun de mes espoirs, et demain sera semblable à aujourd'hui, semblable à hier. Quelque chose se déploie comme un présent immobile. Il n'est pas nécessaire d'attendre les vagues ni de les espérer. Et pour quelque temps, ici, ce n'est pas utile. Attendre et espérer m'épuisent.

Je préfère me laver des déceptions dans le long déroulement des vagues. Une vague et puis une autre. La première me soulève et me rapproche dangereusement de la plage. Je n'y tiens pas. Il faudra être plus vigilante la prochaine fois. Mon pied heurte dans l'eau opaque et grise la pointe vive d'un coquillage ou d'un rocher. C'est toujours la même question qui se pose, comment passer cette vague ? Il n'y a aucune autre question qui transperce mon esprit ni ne joue lancinamment de moi. C'est toujours la même question, partout, comment passer ? Comment négocier ? Mais ici je négocie avec le vent et les vagues et l'écume et le sel ... Et les courants marins qui nous emportent ou nous ramènent.

Oublier. Tous les remous de l'esprit. Tous les doutes qui le trahissent, et qui le fissurent à chaque instant, et le monde sec dans lequel il s'effrite. L'écume seule qui jaillit suffit à l'emporter dans l'oubli immense comme un morceau de bois flotté, et le sortilège éclaboussant le nageur, son être se concentre alors absolument sur quelques gestes, les vagues, l'ajustement de ses gestes aux vagues, l'ajustement de sa respiration à ses mouvements qui eux-mêmes s'ajustent aux mouvements de l'océan. Cela absorbe ses forces et son esprit. Toutes les forces de son esprit. Sans parler de son corps qui s'épuise.

Alors, oui, il trouve ce qu'il est venu chercher dans l'eau fraîche, à une heure où la plage est absolement déserte. L'oubli.

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