Ces images en noir et blanc flottent quelque part dans ma mémoire.
On regardait les clichés, et un personnage se superposait étrangement au reste de la scène, entretenait avec elle un léger décalage dans l'espace, déjouait les perspectives, en choisissant de se manifester un peu trop haut, un peu en retrait ; à travers sa légère transparence, il fallait bien admettre soit que les simulacres des vivants passsaient sous nos yeux, se manifestaient n'importe quand, dans le plus grand désordre du monde, hypothèse coûteuse, on en conviendra, soit que les clichés photographiques s'étaient superposés les uns aux autres. Et par souci de conserver un peu de cohérence dans notre monde, et dans nos théories de la perception, on reconstruisait vite les souvenirs qui permettaient de les séparer. De les scinder. Les simulacres rentraient seuls dans leur scène. Deux scènes en une seule, que parfois des semaines séparaient, une silhouette transparente apparaissait dans un lieu où elle n'était jamais allée, on remettait un peu d'ordre dans cela et on déchirait la photo en noir et blanc, elle finissait dans la corbeille à papiers, j'allais l'en retirer, approchais en secret les morceaux et redécouvrais des espaces inconnus et silencieux.
L'espace se feuillette d'innombrables strates temporelles. C'est toute sa structure qui se lézarde, qui se fendille. Je connais les toutes dernières strates, celles qui sont les plus saturées de tous les simulacres des absents, mais serais bien incapable d'en faire un décompte exact, je traverse les dernières, celles qui sont si saturées que pour pénétrer dans le soir, il faut écarter la brume de tous les souvenirs, pour que le rayon de soleil du crépuscule passe jusqu'à nous, et réchauffe un peu notre peau et nos cœurs.
Entrelacs des cheminements dans ce seul lieu du monde (le jardin), selon des décalages infinis, je ne sais pas comment ils parviennent à se croiser, entremêlement des voix (certaines tues à jamais, et combien de fois cet appel dans le soir qui tombe?) elles résonnent ici, toutes, effacement des simulacres (néanmoins je Le revois, dans le crépuscule où je m'assieds pour regarder la fin d'un autre maintenant, dans un rayon oblique et prêt à basculer dans le vide, Il faisait jaillir l'eau dans un bruit que j'entends toujours aussi distinctement même si je ne l'ai pas entendu depuis des années, même si je ne m'entendrai plus jamais, tout cela devient confus soudain, la pièce indispensable à la réparation de la pompe est épuisée). Il y a de quoi ne pas savoir où nous en sommes.
Je comprends à présent pourquoi ils mettaient tant de soin à déchiqueter ces portraits. Je comprends leur hâte et leur empressement à les faire disparaître.
mardi 27 juillet 2010
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C'est comme dans un rêve, où les déconnexions brisent tous les plans du réel engrangé depuis des années, qui se recomposent au gré du tango fou de tes synapses libérées à la faveur de l'assoupissement. Au bout du compte, le mol aléa de ta vie d'ici... Mais tu as raison : avec ou sans portraits déchiquetés, à cet instant nous ne savons plus jamais où nous en sommes. Plus jamais, tu entends
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