Ce soir, s'éprouve l'impérieuse nécessité du silence, et de la solitude, elle se déploie sans qu'il soit possible d'échapper à son ombre qui gagne peu à peu l'espace, l'assombrit, l'obscurcit et tout le jour bascule dans la nuit. Se détachent une à une les syllabes de l'absence, absence à soi, elles se détachent dans le silence et je ne veux rien entendre d'autre, je reste suspendue aux silences qui les séparent : ils instillent entre elles des petits moments vertigineux de vide pur. Je connais cette nécessité, je la connais bien, elle m'accompagne certains soirs et alors aucune compagnie ne m'est supportable.
Retour seule, dans les rues de Paris ou de Tokyo … il faut du bruit et la rumeur des grandes villes pour entendre en soi ce vide, pour se pencher sur ce creux de silence qui nous habite, qui nous transperce, tous, les uns après les autres. Aix-en-Provence, je la déteste, puissé-je ne jamais la revoir, est devenue une ville pour réalisateurs vieillissants, ils viennent y tourner un dernier film, dans une ruelle artificielle qui l'était au XVIII ème siècle et dans laquelle aucune sève n'a jamais coulé. Il faut le bruit et la rumeur, de Paris ou de Tokyo, pour ne pas entendre le martèlement de ses pas sur le sol, il faut tout autre chose que les pavés dorés d'Aix-en-Provence (je la déteste, puissé-je ne jamais la revoir), la foule continuelle et intense, le bruit sauvage du métro qui traverse les brumes de la migraine, les grincements des portes, les chocs des rails et les portières entrechoquées, il faut les rames qui approchent, et les trains qui s'eloignent, les autoroutes possibles dans le tissu urbain, comme un fil plus épais dans la trame de la ville, il faut une vraie ville pour ne plus entendre en soi ce murmure continuel, ce bruissement, ces paroles qui ne peuvent pas se taire, qui me traversent, qui reviennent me hanter. Marcher dans les ruelles d'Aix-en-Provence (je la déteste, puissé-je ne plus jamais y passer, puissé-je l'effacer entièrement de ma mémoire) ne suffit pas, et n'a jamais suffi, il faut une ville démesurée qui absorbe mes pas et ne se laisse pas circonscrire par eux, et alors, oui, le calme reviendra. Mais la lutte est intense et la ville doit être immense, il faut impérativement que l'éparpillement soit complexe et tragique, et que des pans de ville s'échelonnent dans l'espace, sans que le regard les puisse embrasser. C'est là une condition nécessaire de l'apaisement.
Je voudrais rentrer seule, dans mon appartement à Tokyo, n'y avoir presque rien déposé, et surout aucun souvenir de paroles échangées, de conversations, de disputes, de promesses, d'attente, je voudrais n'y avoir rien, et pas même des souvenirs, y rentrer seule un soir, et que personne au monde ne me sache là, et que je puisse enfin m'allonger dans l'obscurité, écouter la rumeur de la ville monter vers moi, sans entendre aucune voix, aucune parole, où trouver le silence et la solitude, sinon là ? Je voudrais être absolument seule dans une ville inconnue de moi.
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