Mais cela n'a aucune importance car tout ce que je dis est infiniment éloigné de moi. L'écrit s'éloigne ; ses résonances ne sont pas miennes.
Je descendais les escaliers en courant. Ils tournaient, assez étroitement, sur eux-mêmes, rendant la manœuvre quelque peu périlleuse. Les marches étaient si serrées, rendant compte par là de l'empilement des existences les unes sur les autres dans des espaces suffocants, qu'il y avait à peine la place, à chaque pas, pour poser le pied et ne pas virevolter dans des entrechoquements de crânes, d'épaules, et d'arêtes vives du béton.
J'imagine facilement la suite. La tête d'abord. Conscience émoussée (sauf de la douleur). Un liquide tiède coule sur mes lèvres et répand un goût douceâtre dans ma bouche. J'aime bien ce goût. Je le connais, il me dégoûte un peu et pourtant je l'aime bien. Pendant le bref espace de temps où j'analyse sa texture, et imagine sa couleur dans ma gorge, mes membres font l'expérience de la résistance matérielle du monde, celle-là même à laquelle se heurtent constamment mes désirs. Mes désirs se sont brisés depuis longtemps, qu'importe alors que mes os en fassent l'expérience ?
Escaliers en vis sans fin s'enfonçant dans l'espace, pénétrant les profondeurs de la terre urbaine. Ils auraient pu être dans une tour, une tour immense pointée jusque dans la brume polluée qui englobe la ville, lui voile les hauteurs étincelantes du ciel, la berce de ses miasmes et de ses particules subtiles, si dangereuses : une fois qu'elles se sont faufilées profondément dans nos poumons, qu'elles y ont trouvé quelque alvéole étroite, elles limitent habilement le temps qui nous est imparti.
Je m'enfonce ainsi dans la ville, mi dégringolant, mi agonisant. C'est une agonie désordonnée de rêves brisées, de chocs avec le réel, de glissements dans le désespoir. L'escalier s'enfonce dans les profondeurs. Je cours et sans doute finirai bien par tomber et par me taire, mais pour le moment j'enfonce la porte d'un coup de pied rageur (il reste toujours cela contre le monde, les coups de rage contre notre impuissance, et notre désespoir) et sors dans l'espace de la ville.
Je suis à moi-même ma propre pierre tombale et m'élance dans le cimetière de tout rêve : votre monde.
Woaw!!!! Je plussoie totalement!!! Chic et choc ce carnet!!!
RépondreSupprimerEt après tu t'es réveillée dis-moi ? J'ai fait un rêvé analogue il y a peu, écrit ici Je tombe. Ceci écrit, bien moins beau que tes mots qui dévalent. :)
RépondreSupprimerMerci de ces échos ! Je vais te lire, Christophe, et suis heureuse de cette proximité. Pour ce qui est du réveil ... Non. Le cauchemar continue.
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