Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 27 septembre 2010

Carnets lointains, IV (envol)


À proprement parler, ce n'est pas se jeter dans le vide qui pose problème. Certes dans les grandes tours, les fenêtres sont condamnées, mais il doit être possible de contourner le problème. J'ai bon espoir, d'ici ce soir, de trouver une solution.

J'ai dû laisser passer tout un bout de la ligne du temps, sans en briser du tout la continuité, la laisser défiler, peut-être comme une corde entre les mains de qui descend dans un précipice, elle glisse, son frottement brûle et arrache un peu de la chair des paumes, soulève les peaux, mais il faut se tenir, néanmoins, pour ne pas traverser l'espace trop brutalement, et s'écraser dans un ailleurs rocheux.

Quand je me lève enfin, les brumes du crépuscule descendent sur la ville. 

Les tours scintillent des vies qui s'y terrent. Chacun s'est vu attribuer son volume de bien-être cubique, en fonction de son utilité à la société, où il peut espérer obtenir une température constante de 20° celsius, quand le thermostat affolé n'emporte pas vers de vertigineux excès, quand la température extérieure ne descend pas follement, sous des prétextes aussi fallacieux que le ralentissement du Gulf Stream alourdi de pétrole, où lui est garantie l'aération automatique (puisque les fenêtres ne s'ouvrent pas, vous me suivez ?), et dans quoi il pourra ranger tout ce qu'il souhaite entasser des éclats de son existence déchue (sacs en plastiques, tickets de métro, livres jamais lus, stylos desséchés par le temps, oreillers jaunis des nuits sans sommeil).

Je ne sais pas si la brume descend, si, comme je le crois, elle se détache des nuages pour nous recouvrir d'oubli et de silence (du moins au crépuscule), ou si elle se lève, monte de la terre par quelque subtile métamorphose chimique des états de la matière, et nous noiera tous.

Je sens en me levant qu'une maille vient de filer sur mon bas droit. Au fur et à mesure que je déplie la jambe, pourtant mes mouvements sont lents, je les croirais insensibles, l'impression descend et en quelques minutes, sans qu'il m'ait été nécessaire de me pencher pour la regarder,  je sens, je devine qu'elle est arrivée jusque sur mon pied. Je reste debout dans la presque obscurité du soir tombé trop vite. Les jours infinis ne sont rien d'autre qu'un regret. Le long des façades scintillantes montent parfois des raies de lumière, un point glisse le long de la façade fumée, et verticalement emporte sa cargaison d'âmes vers leur cube de confort. Ou les redescend vers leur vie nocturne. Ils se croisent dans les verticales de l'existence.

Ce n'est pas se jeter dans le vide qui pose problème. C'est ce qu'on trouve quand on arrive en bas.


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