Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 28 septembre 2010

Carnets lointains, IX (brisé)


Qu'ont-ils donc à me regarder ainsi ? 

Lui ne lâche pas son portable, comme si ce talisman lui ouvrait le monde, elle me regarde fixement de ses grands yeux délavés, et prend un air absolument navré. J'ai envie de crier et de les insulter. Je ne suis plus un ange. Elle reste campée sur le trottoir et me regarde m'éloigner, plantée sur ses escarpins vertigineux. Ils ne comprennent rien, ils ne peuvent rien comprendre. Elle m'exaspère et lui est insipide. Je la giflerais volontiers mais mes gestes ne sont pas très assurés, et je dois apprendre à contenir la colère qui m'enivre. Je viserais volontiers sa joue trop maquillée et d'une couleur règlementaire, mais je serais capable, telle est l'ivresse de ma chute, de ne pas la toucher, alors même que je ne suis qu'à deux pas d'elle, plus proche que je ne le serais jamais dans le monde. 


Tout mes gestes sont approximatifs.

Toute la pesanteur du monde me tombe sur les épaules. Si je tente quoi que ce soit, je me ridiculiserai. Je le sens et cela ne fait que décupler ma fureur. Ivresse de la chute, ivresse de la colère, les alcools forts se mélangent dans mon sang et finissent par provoquer une brûlure étrange que je n'avais encore jamais ressentie. Ils coulent dans mes veines et je perçois leur circulation dans tout mon être exactement comme le plomb fondu a pénétré les veines de la Gorgone et a fini par provoquer sa mort. Je ne sais pas pourquoi ce mélange de plomb fondu ne fonctionne pas sur moi. Je m'éloigne. Je titube, trébuche. Mes ailes brisées s'effacent dans mon sillage.

Ces deux-là n'ont jamais rien vu, s'ils n'ont pas vu un ange brisé s'enfoncer dans une ville.

Cette robe trop longue et qui devait voler entrave la marche et se glisse entre mes chevilles, mes ballerines trop grandes glissent de mon pied, glissent sur le trottoir luisant, je manque de tomber, ils sont derrière moi mais je sens encore sur moi leur regard. Ces deux-là n'ont jamais rien vu, assurément, s'ils n'ont pas vu un ange brisé trébucher sur un trottoir inégal et mal scellé. Il ne me reste plus qu'à disparaître dans la ville, à parcourir jusqu'à l'épuisement de toutes mes forces les moindres méandres de ce monde. Mais qui me fera oublier ce désespoir ? Je le sais bien, j'en ai déjà une conscience aigüe, quoi que je fasse, quels que soient mes efforts, quel que soit le désespoir de mes efforts, je me briserai les os, comme j'aurais dû le faire à l'instant. 

Tout de moi se brisera comme une vague sur la jetée.

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