Partir, partir encore une fois, reprendre le train, encore un train, n'importe quel train, attendre dans un hall, un avion, Paris, Amsterdam, Tokyo, Le Caire, n'importe quel hall, Rome, Zurich, regarder les avions décoller avant enfin d'être appelée pour le sien, regarder les avions qui décollent, regarder leur étrange poursuite dans le ciel, selon un axe, un seul, leur étrange envolée, selon un axe, avant que leurs directions ne divergent, que leurs envolées ne bifurquent, et les continents les sépareront bientôt, les silhouettes frêles des voyageurs qui se seront croisées dans un hall ne seront plus, les unes pour les autres, que de fragiles esquisses de souvenir, presque plus rien, une ombre fugace dont on ne se souvient que parce qu'elle a fait tomber son paquet de cigarettes, ou parce qu'un enfant dormait dans ses bras, en suivant une courbure attendrie.
Alors je pense, au dessus des montagnes, l'été, quand le sentier serpente entre les pierres et le ruisseau minuscule, je pense aux traces parfaitement rectilignes que les avions laissent au dessus des cimes, à la frontière qu'ils traversent sans même exactement le savoir, aux traces qui se dédoublent, puis s'estompent dans le vent des hauteurs, altitude invraisemblable, extrême, qui fait paraître minuscules les sommets inatteignables, et leur mouvement parfaitement fluide se poursuit dans le vent, indépendamment de toute espérance.
Reprendre son souffle. Une main, d'un geste machinal, cherche dans la poche l'épaisseur et la texture particulières qui indiqueront la certitude du passeport, du billet électronique glissé à l'intérieur des pages, sans oublier… non, je n'ai pas oublié… tout va bien. L'autre main vérifie le portable, qu'il faudra bientôt couper. Pas encore. Le temps ne presse pas. Pas encore. Ce temps absolument vide de l'attente. Mais la silhouette générale demeure immobile, un sac à ses pieds, derrière elle les avions s'envolent, elle allumerait une cigarette, mais ne le peut et ne bouge pas.
Je ne sais même plus si je pars ou si je rentre. J'attends. Contre une baie vitrée d'aéroport. Il est précisé qu'il s'agit d'une correspondance. 4h15 de correspondance. Je ne connais pas de moments de solitudes plus intenses que les correspondances, loin de tout, éloignés également du départ et de l'arrivée, silencieux absolument, personne à qui parler, personne à qui nous retenir dans la chute, seulement des silhouettes de la mémoire de qui nous sortirons aussi vite qu'elles sortiront de notre regard, pupille sombre dans un iris délavé qui regarde fixement la pluie couler sur la baie vitrée, les avions s'envoler, et le mouvement du monde se faire, dans la suspension absurde de ce que nous appelons une correspondance.
Interstice de vide entre deux mondes. Les galeries marchandes ne suffisent pas à le combler. Interstice d'immobilité entre deux trajectoires rectilignes dans le ciel. Et dans ce vide le temps s'absorbe, les souvenirs se perdent, les pas ne mènent à rien, les paroles n'ont pas de sens, pendant que les tableaux des arrivées et des départs alignent leurs chiffres et leurs codes, jaunes sur fond noir. La ligne de mon départ, lentement, remonte des profondeurs du néant, je la vois apparaître, remonter, approcher des lignes complètes qui affichent les numéros de porte, mais tout cela est fragile, je le sais bien. Elle se complète, avant de s'effacer d'elle-même. Et de sombrer dans le néant.
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