Les retours, surtout, sont intenses. Fatigue accumulée, tout au long de la traversée de la journée. La traversée n'en finissait plus. Elle pèse sur les épaules, plus encore que la bandoulière du sac qui se balance sur ma hanche. Lui, au moins, ponctue la marche. Balancement. La marche est une chute maîtrisée. Constamment maîtrisée. Elle pèse sur les pas. Et leur donne une étrange liberté. Un détachement. Une étrange légèreté. Et cette obsession, rentrer seule, être seule, dans le silence que seules offrent les villes immenses. Le soir déploie ses ombres et les lumières clignotent dans les rues.
Lumières et clignotement. Une sirène passe. Rotation des faisceaux lumineux. Et la stridence. Puis s'éloigne.
La marche peut être simplement rectiligne le long de cette avenue immense. Les passants. Surtout ne pas accrocher de regards. Je ne connais pas les codes. Je ne sais pas lire, je ne sais pas déchiffrer, je ne déchiffre rien, ni les affichages lumineux qui défilent sur les façades, ni les visages, ni les regards. Pas même ce prospectus tombé à terre et que le vent pousse dans mes chevilles. Je l'écarte. Ici je ne sais pas, je n'ai pas envie d'apprendre. Passer. Il n'y a pas lieu que je laisse une trace.
Effacement possible dans la trame de la ville.
Des effluves. Des odeurs. Une odeur étrange de fruit trop mûr, presque écœurante. Elle aurait pu être douce. Ne l'est pas. Puis la bouffée d'air chaud tout droit sortie d'un parking souterrain. Et les néons trop vifs de leur béance. Entrée. Sortie. Même odeur de poussière confinée. Et une légère aspérité d'une dalle qui me fait trébucher. Rattraper le déséquilibre. Retenir la marche. Reprendre.
Ponctuellement l'arrêt au bord d'une rue, machinal, avant de traverser. Une pause. Rupture du rythme, qui reprendra un bref instant plus tard. S'entend encore dans la tête la pulsation des pas. Je ne sais pas si mon cœur bat toujours, mais la pulsation des pas est bien là. Reprise, dans l'invraisemblable pureté d'un jasmin.
L'avenue défile. Les trottoirs sont vastes. L'espace s'ouvrirait presque. La terrasse d'un restaurant, installée au bord de la circulation, comme elle l'aurait pu être aux bords d'un fleuve. Regards. Quelques têtes se lèvent. Le serveur sort. Gestes, toujours les mêmes (la fourchette portée à la bouche, la serviette qu'on repose sur les genoux, la cigarette qu'on écrase dans le cendrier presque vide, le serveur qu'on hèle d'un geste las). Un client entre. Un couple lit le menu, hésite.
Je les ai déjà dépassés et cela n'a aucune importance. Pas plus que cette vieille femme qui sort son chien dans la nuit élimée. Et le jour qui se défait.
Décomposition.
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