Le sommeil n'est pas venu, pourtant je me réveille. Ce doit bien être quelque chose comme se réveiller. J'ai dû dormir. À travers l'épaisseur nébuleuse de la dernière strate de sommeil, je cherche entre mes paupières mi-closes quelque chose de la lumière qui pourrait m'indiquer où je me trouve. J'ai bien dû dormir un peu. La dernière fois que j'ai regardé autour de moi, la lumière était instillée dans ma chambre par les étincelles des fenêtres et des lampadaires, des clignotements lointains, des tours, les miroitements des tours immenses de la ville. J'aurais pensé le sommeil absent, impossible. Pourtant j'ai dû dormir un peu. Un jour pâle écarte les rideaux. Sans qu'il me soit nécessaire d'ouvrir les paupières, j'en ai une perception très diffuse dans une strate presque déchirée d'absence.
L'impression ne me gêne pas. Je ne sais plus du tout où je suis. Cela arrive si souvent. Je prends l'avion, je sors de l'aéroport, cherche un taxi, trouve un peu de calme dans une chambre d'hôtel, essaie une eau pétillante parce que l'atmosphère est sèche et internationale, propre et aseptisée, cela me donne soif, comparatif des eaux pétillantes de par le monde, puis au bout d'une soirée je cherche le sommeil, au bout d'un voyage, dans le fond désemparé de l'éloignement. Et alors par un étrange froissement de la mémoire, le matin, je ne sais presque jamais où je suis.
L'impression en est presque devenue habituelle. Insipide. Incolore. Comme ce même rouge toujours, à travers mes paupières, qui se diffuse. Les draps propres et le savon frais qui ne sont pas mes odeurs, qui sont des odeurs qui ne me touchent pas, d'aucune manière, seulement des odeurs insipides de propreté internationale, de convention printanière. Cela n'a aucune importance. Autrefois l'impression m'amusait terriblement, ne pas savoir du tout où j'étais, je la retenais le plus possible, l'effort pour ne pas rompre ce charme m'empêchait tout à fait de dormir, c'était l'enfance, je me réveillais en vacances. Et l'été commençait.
Il n'empêche que cette fois, je ne sais vraiment plus du tout où je suis. Se présente sous mes paupières l'image d'un globe terrestre. Je vois partir de Paris (c'est faux, je ne suis pas partie de Paris, tous ces déplacements sont autant ceux du rêve que de l'écriture que les déplacements selon le lieu, il n'y a rien à apprendre de moi ici, il n'y a rien à savoir de moi ici, il n'y a rien à ressentir de moi ici) un trait immense qui passe par le pôle et rejoint un ailleurs. Mais quel ailleurs … ? Au moins je ne suis pas à Aix-en-Provence, j'écarte l'hypothèse honnie Aix-en-Provence, hypothèse de la récurrence cauchemardesque, puisse ce moment ne jamais revenir, et le soulagement de n'être pas à Aix-en-Provence suffit à me faire remonter vers la surface des rêves. Je vais me réveiller, je le sens, et je ne sais absolument pas où je suis.
Des noms de lieux défilent sous mes paupières. Il y a des consonances qui s'éveillent, des voyelles improbables qui apparaissent, des noms qui défilent, je suis passée par Zurich, mais c'était une correspondance, une jonction entre deux vols, où donc allais-je ? Je ne sais plus du tout. La recherche du nom achève de me réveiller. Ceux que je trouve pour commencer sont de fausses pistes, et des rimes surprenantes formulées par une géographie déviante. Peu à peu l'égrainage des noms s'accélère, il cherche un objet, les rimes se précisent, la spirale se rapproche d'un point aveugle, puis sans que je sache comment, tout se recompose autour d'une possibilité unique.
Je dormais donc. À Tokyo.
Les carnets Tokyoïtes avaient donc une suite...
RépondreSupprimerBonne journée.
.)