Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 6 septembre 2010

Carnets Tokyoïtes, liasse perdue



La surface de la mémoire est devenue fine, excessivement fine, et se fendille de toutes parts.

À la perception actuelle d'une avenue qui remonte un arrondissement parisien se mêlent les trajectoires invraisemblables des souvenirs rêvés de ce que fut Tokyo sous mes pas, sous mes yeux. Des frôlements et des saveurs, qui, si peu de temps, y furent possibles. Pourquoi alors ai-je toujours l'impression, quand je rentre chez moi, que chez moi va ouvrir un espace tokyoïte, et qu'il n'est pas ici ? Pourquoi ai-je constamment, au crépuscule, l'impression de rentrer à Tokyo ? La perception actuelle est traversée d'éclairs et de soudainetés étranges qui aliènent le réel, qui l'arriment à un autre possible. Le nœud se resserre, des objets minuscules ouvrent des portes et des passages inespérés, un tissu, un motif simplement, un foulard pour un enfant, une petite chose, insignifiante, et le possible ailleurs apparaît, ici et maintenant. 

Entrelacs de plus en plus finement tissé, ce tissu, je l'ai vu, dans la gare de Shinagawa, il était là, dans le hall désert, à la nuit tombé, sur cet étal, myriades de porte-bonheurs, de bonbons colorés, de grelots dorés, de biscuits surprenants, et de baguettes. Ce motif d'éventails aux couleurs vives alors s'est imprimé d'abord sur ma rétine, ensuite dans ma mémoire.

La profondeur des rêves n'est plus très loin, et s'ouvre sous mes pas.

La station de métro dans mon esprit se compare à ce qu'elle serait à Tokyo. La perception  de la ville est traversée par l'autre ville, l'autre ville possible, l'autre ville comparable, les stations de métro se superposent, les pas des foules et leur tracé dans les avenues, sur-impression de l'une sur l'autre, de son élan profond, profond et calme, elle portait mes mouvements comme portent les puissances maritimes. 
La perception du monde alentour, encore, ne serait rien si l'entremêlement des souvenirs n'avait pas atteint des strates plus intenses et plus silencieuses encore, dans lesquelles se déposent les rêves, où ils deviennent des souvenirs inventés, intensément puissants. Leur parfum intense traverse les nuits sans sommeil. La pluie sur mon visage, et les vapeurs des échoppes de soupe, la fugace impression d'une femme en kimono de soie, et les tours, toutes les tours immenses, qui composaient l'espace le plus hallucinant qui soit, le plus désorientant, et une fois qu'il avait fini de désorienter, une fois que la désorientation du monde était un fait accepté, alors il devenait possible de remonter en direction du Palais impérial, sous la pluie, sans plus s'inquiéter de rien, et de rêver des grands arbres du jardin, si violemment, que je ne sais plus si je les ai vus ou si, seulement, je les ai rêvés.

Souvenirs et rêves s'entrelacent et se tissent, et ainsi, leur entrelacement végétal tisse une fine corde. Le lien à la ville ne se défait pas.

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