Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 28 septembre 2010

Carnets lointains, VIII (ailes brisées)


Je ne suis pas un ange mais j'ai dû me fracturer les ailes. 

Ou bien je ne suis plus un ange parce que je me suis fracturé les ailes.  Possibilités alternées (il paraît que leur existence n'est pas nécessaire pour que nous soyons libres, de toutes façons, pour ce que nous faisons de notre liberté…). 

En tout cas, mes ailes se sont fracturées au moment de l'impact. De cela, je ne peux avoir aucun doute. Ce moment-là, je veux dire : le moment de l'impact, est étonnamment calme et silencieux. Tout d'un coup je n'ai plus entendu que le vent, il caressait mes joues, je n'ai plus vu que le trottoir luisant qui se rapprochait, à une vitesse sidérante, je ne détachais pas mes yeux de lui, je ne pouvais plus regarder que cette jonction de ciment gris, la fente de cette jonction, je voyais la jonction des pierres, celle-là même que je suivais autrefois, dans les jeux, celle-là même sur laquelle je joue les enjeux importants maintenant que la vie n'est plus très drôle, un pas sur elle, et tout échoue, fermer les yeux, passer tout droit, et tout jouer dessus, sur rien, un pas, la place de la plante des pieds sur le rebord du trottoir. Voilà que tout cela se rapproche à une allure vertigineuse. 

Je pense à Icare, pauvre Icare. Si j'avais un peu de temps devant moi, je pleurerais sur lui toutes les larmes de mon corps. Mais l'impact approche. Je voudrais tenir sa main, avant de m'écraser sur le sol. Je pense très diffusément à lui. L'impact approche. À tel point que je ne peux plus penser à rien d'autre. Alors la douleur cesse avant même que je cesse d'exister. Je ne peux plus penser à rien. Le vent. L'impact. Le sol se rapproche. Je ne l'ai jamais vu ainsi.

Je ne sens que le vent qui caresse mon visage.

Quand je me relève, je commence par trébucher.  Le premier pas est maladroit, j'en conviens.  Je titube un peu. Mais je n'ai plus d'ailes. Le couple parfumé sort de l'ascenseur, elle retient son manteau d'une main, il a la main dans sa poche, et tient son téléphone. Ils demeurent silencieux mais semblent étonnés que je me relève. Qu'étais-je supposée faire ? Mourir là, sous leurs yeux,  dignement, sur le trottoir mouillé ? Il aurait appelé les pompiers d'une voix calme, elle aurait détourné posément les yeux, pendant que je cherchais à ramasser les morceaux de mon âme défunte avant que tout ne parte en morceaux ? Ces deux-là sont idiots, je la déteste, tout particulièrement, je me relève, évidemment, ma robe est toute abîmée, un peu mouillée, il n'empêche : je repars. 

Ce n'est pas très facile de marcher du même pas qu'eux. Mes ailes sont brisées.


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