Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 15 novembre 2010

Carnets lointains, 26 (bruitage)


La porte claque. 

Les clefs, métalliques, tournent dans la serrure. Le mécanisme rend le son habituel, celui qu'on écoute sans y prendre garde, tout à l'heure je me demanderai si je l'ai vraiment fermée, quelque chose se tend, se retend sous ma main, la pression, je retire la clef et remet le trousseau dans une poche, n'importe laquelle. Tout à l'heure je le chercherai, quand il faudra ouvrir une autre porte. Mais pour le moment, il en reste ce tintement métallique, quelque chose comme un signe inéluctable et sensible de  la journée qui va s'enchaîner.

Le mécanisme résonne jusque dans les jointures de mon crâne.

Après, je ne sais plus, un mécanisme devait être tendu, qui a initié de complexes opérations (je n'y comprends rien),  des engrenages mystérieux (ils n'existent plus), et il est apparu alors très clairement qu'il est possible de passer tout le jour à distance de soi. Décalage involontaire, je n'y suis pour rien. Le jour passe comme un paysage derrière la vitre pluvieuse du train, mais nous n'en sommes pas encore là. Il n'y a pour le moment rien d'autre que les brinquebalements du métro dans des crissements  dissonants (ils menacent à chaque virage de disjoindre ces articulations), son bruit mécanique recouvre toute trace de conscience. Les portes s'ouvrent et se referment. Automatiquement. Le flot se forme et s'interrompt. Avec résignation.

Les voyageurs sont dispersées dans le matin mais à ces profondeurs, il ne se perçoit pas. 

Sur les visages et dans le tassement des corps sur eux-mêmes, vêtements froissés, on remarque aux bords des manches quelques traces grises ; se lisent deux lignes mélodiques, qui jamais ne se répondent (je crois qu'elles s'évitent), et les regards ne se croisent pas : l'habitude d'être là, à cette heure matinale, l'effarement d'être là, à cette heure matinale, au sortir des heures de travail qui laissent aux bords de l'épuisement, avant une autre journée (comme une nouvelle mesure de peine et de fatigue),  au sortir de la nuit de repos interrompue par le départ et le déplacement selon l'espace, dans la géographie des grandes lignes de circulation. Disjonction. Dissonance. Ceux qui n'ont pas encore travaillé ressentent une légère honte de leur engourdissement. Les autres disparaissent à un nœud de circulation, un énorme point coloré sur la carte du métro, qui les absorbe, silhouettes usées. Figures en chiasme de leur passage.

Parfois je me demande si les palpitations de mon cœur n'ont pas été remplacées par quelque vibration minimale de la piezzo-électricité d'un cristal.

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