Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 18 novembre 2010

Carnets lointains, 34 (adéquation)


Peu à peu, ce sont toutes les choses du monde qui se sont remises à leur place.

Je ne sais pas du tout comment c'est arrivé. Je n'y ai rien compris. Seulement il y avait ces nuées de pollens qui tournoyaient autour de moi, dans l'après-midi de printemps. Sous les arbres d'Aix-en-Provence (je n'ai jamais vu cela ailleurs) le pollen se reconstitue en myriades de nuages minuscules, ils virevoltent dans les souffles d'air. Je ne savais pas du tout quoi faire. Je suis restée là, assise sous cet arbre, et peu à peu la mosaïque invraisemblable du monde se recomposait finement. L'une après l'autre, les couleurs revenaient, les morceaux, l'un après l'autre, de couleur vernissée, s'ajustaient parfaitement, et je voyais que l'ensemble se recomposait.

Remonter vers la vieille ville ne fut presque rien.

J'y ai croisé quelques souvenirs en chemin, mais cela ne me dérangeait pas. Au début, l'avenue qui borde le parc est sans âme, presque sans âme, si ce n'est que, dans le vent du soir, il y a parfois des odeurs extraordinairement douces. Une fois passé le boulevard circulaire, on entre dans un autre monde. Les rues sont fines et droites. Les façades des hôtels particuliers se dressent imperturbablement et s'éclairent peu à peu dans le soir qui tombe. Il y a des détails inoubliables. Je sais que même si je perds la mémoire, ils continueront de passer sous mes paupières closes, entre le monde et moi. Je me retenais aux détails pour ne pas tomber, pour ne pas basculer, mes premiers pas furent hésitants. Une porte indéfiniment bleutée, de bois vieilli, si bien ajusté. Dans le rebord d'une fissure énorme, sur un mur, une plante minuscule était parvenue à glisser ses racines, et se redressait contre la paroi. Le clocher géométrique de l'église, au gothique aigu, se découpait sur le crépuscule commençant. L'heure était passée. Une silhouette furtive, portant quelques sacs, montait un escalier immense dans un hôtel délabré. De la rue, ne se laissait voir qu'une ombre chinoise.

Je sais que même si ma vision se trouble, elle demeurera dans toute sa netteté.

Je compris que la focale venait de se déplacer et qu'en se déplaçant, elle avait précisé les possibles. Ils venaient de s'articuler au monde. Ils prenaient racine dans les déplacements selon le lieu. Il y avait une terrasse, un café, et je me suis assise là pour lire le journal. J'attendais. Je n'attendais rien d'autre que la tombée de la nuit, l'heure du dîner, les conversations aléatoires, ensuite de quoi il suffirait de rentrer à pieds, et au détour d'une rue, il y aurait à n'en pas douter un jasmin vertical et clair qui embaumerait la nuit, au coin d'un mur de pierre ocre.

Le présent devint aussi incandescent qu'une cigarette.

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