Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 17 novembre 2010

Carnets lointains, 30 (brûlure)


La suspension entre deux mondes est hésitante.

Je n'ai pas saisi la possibilité de la mer. Le car est arrivé "Marseille-Aix. Direct par autoroute". Une longue canalisation entre deux villes, entre deux mondes. La fin est proche alors. Marseille-Aix direct par autoroute. Cahot. Cela sent l'arrêt. Quelque chose comme la fin. La mer entre deux façades se laisse entrevoir. Un instant. Un bref instant. La mer sous le ciel gris. Les façades sont lépreuses. Façades en creux. Des terrasses. Je n'ai jamais vu personne sur elles. Se prélasser en bord d'autoroute paraît une option si absurde dans le monde que jamais personne… le linge étendu là ponctue les façades, notes colorées, un drap orangé, un torchon, des serviettes bleues (la possibilité de la mer s'éloigne). 

Monde déglingué. Le voyage part de travers.

La grande façade de l'hôpital nord se dresse. Hiératique. Impossible d'imaginer derrière elle… passer sous son ombre. Je mourrai ailleurs. Je ne resterai pas suffisamment pour avoir une chance de mourir ici. Je n'irai jamais. Se frôlent, du côté gauche de l'autoroute, des morceaux perdus, abandonnés de voûtes romanes. Ils sont désolants. Quelques fragments. Ils tombent en ruines, dans la douceur impossible des jardins abandonnés. Morcellements. Ils s'effondrent sur la ville et la ville les ignore. Je ne sais où tout cela finira. Dévalement à venir de pierres, de chapiteaux sculptés. 

Il vaut mieux ne pas y penser, je suppose. Ne pas prendre les présages. Ne rien écouter. Il faut passer à travers le monde, ne pas penser, ne pas voir, ne pas remarquer les papiers gras sous le siège de devant, ne pas entendre la musique qui se diffuse, oublier qu'elle se diffuse. Sur la bande d'arrêt d'urgence, un véhicule il y a peu rutilant est en train de brûler. La fumée acre qui s'en dégage fait pleurer les yeux et l'image, un instant, se brouille. Je sens, quand nous passons à sa hauteur, la chaleur de l'incendie mais la vitre m'en sépare. Elle pourrait éclater en mille éclats ; cependant nous passons.

Un panache noir monte en oblique dans le vent.

Un peu plus loin, il est possible, un bref instant, d'imaginer, les cheminements à travers la campagne, et les pas dans les collines, les chemins entre les arbres fruitiers, et le passage vers l'ancien monastère, les fruits qu'on ramasse, il est possible d'imaginer, un moment, en pensée, une extension de la vie et de ses possibles, comme une aspiration, de s'imprégner de ce monde, il n'est plus, il n'est pas à ma portée.

Le car, après quelques revirements, nous déverse à la gare routière.












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