Tout cela n'est rien. Tous ces bruits, peut-être, ne sont rien. Ils se fondent dans le registre des nuits, ils s'y perdent, ils s'estompent et se diluent dans l'immensité des ténèbres, ou plutôt, ils s'y dilueraient, si les nuits urbaines n'étaient pas si pâles et si elles n'étaient pas si lumineuses. Je regarde le ciel presque blanc de Paris, ou de Tokyo, et je ne crois plus tout à fait possible de croire à la nuit.
Éclatement, dissolution. Que serons-nous si les nuits ne sont plus ? Si les nuits ne sont ni silence ni ténèbres, comment nos fautes seront-elles effacées et quel repos trouverons-nous ? Que ferons-nous dans l'incandescence des jours qui n'en finissent pas ?
Les bruits se démultiplient. Les pas, au dessus de ma tête, fissurent toute possibilité. Ils martèlent. Elle passe. Elle revient. Ils vrillent les nerfs et on tente de les chasser. Mais les écarter d'un revers de l'esprit ne suffira pas. L'impossibilité se lève, on pourrait dormir, on ne peut pas, on ne pourra pas, le cœur accélère, les pas reviennent, elle s'arrête, non, elle reprend, que fait-elle à cette heure-là ? C'est incompréhensible, ce bruit du monde, à cette heure insomniaque, il vaudrait mieux en prendre son parti, se lever, faire autre chose, autre chose que dormir qui est impossible, autre chose qu'écouter le silence se laisser fracturer de ce martèlement, de ces pas martelés, il vaudrait mieux tout de suite renoncer à dormir, on dirait qu'elle se calme, non, elle reprend, je ne comprends pas, les pas, ils reviennent…
C'est fini. Il n'est pas encore possible de croire au silence tant sa fragilité est palpable.
Il n'est pas jusqu'au crissement des draps qui ne se fasse entendre dans la nuit. Crissement des fibres qui se froissent quand on tente un mouvement. Frôlement de l'étoffe et de la chair, de l'étoffe contre l'étoffe, les fibres de lin se froissent et se chiffonnent contre la peau de l'insomniaque, glissent sur sa jambe, découvrent son épaule, mouvement, il tente un geste pour se remettre, frôlement, froissement de l'étoffe qui se replace et se dépose sur le corps même dont les pensées échappent. Il n'y a pas un moment de silence.
Au sein de cette nuit paradoxale, pâle et bruyante, je ne vois pas comment abriter le sommeil.
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