Il n'y a que les nuits qui puissent accomplir ces métamorphoses.
La flaque laissée par la pluie, sur le trottoir, en bas de chez soi, reçoit une parcelle du pouvoir des nuits et développe la capacité de refléter un firmament de tours immenses. Il suffit de regarder à ses pieds, rien que cela, rien qu'un creux du bitume duquel l'eau de pluie n'a pas eu le temps de sécher, et dans les irrégularités, il devient possible de recueillir la vision de cela : profondeur de champ, dans l'infime de notre passage, exactement sous nos pas. À nos pieds. La lumière électrique répandue dans la pièce, du seul déclic d'une main froide, gâchera ces possibles un moment, inondera l'espace, repoussera les ombres, les recoins, les replis. Repousser un moment l'obscurité au lieu de nous confier à elle ne fait que repousser le moment où nous basculerons.
Il n'y a que dans les nuits que nous retrouvions des éclats des rêveries alchimiques.
D'une certaine manière, nous y avons renoncé depuis bien longtemps. Les rêves naïfs ne sont pas pour nous, et les métamorphoses de la matière ont disparu de notre image scientifique du monde. Tout cet attirail impuissant s'est couvert de poussière, et nous avons laissé faire, depuis que nous ne restons plus accroupis, auprès d'une flaque, pour en troubler les reflets avec un bout de bois ramassé à l'entour. Nous allumons des lampes, à la nuit tombée, et terminons des dossiers emportés sous notre bras, l'ordinateur envoie des courriers avec ce bruit particulier d'un avion qui s'éloigne, et les rêveries, à ce moment-là, tenteraient presque de revenir, mais nous traçons imperturbablement sur l'écran les lignes rationnelles de nos journées inachevées, dans lesquelles les objets sont lisses et géométriques.
Aucune transformation ne s'opère dans la position choisie.
Les surfaces des objets dans l'obscurité revenue de la nuit reprendront à leur tour ce pouvoir de réponses incomplètes, et se renverront des éclats du monde, je ne m'accorde pas ici le dispositif parfait des miroirs, ce serait se donner la part trop belle, ce serait opérer une saisie du réel par des strates incroyablement fines et lisses de métal et de verre, qui demandent des artifices dont je n'ai pas la moindre idée, je parle seulement des vibrations bleutées d'un écran allumé en face qui tremblent jusqu'ici, des phares des voitures qui passent dans la pièce, la traversent toute entière et la caressent de leurs rayons pour repartir ensuite dans la nuit, avant qu'une autre ne recommence le même mouvement.
La tige métallique d'un pupitre répète dans le silence ces éclats d'un monde en fusion. Je ne parle que de cela.
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