Respirations entremêlées… il y a aussi ce bruit là dans les nuits… toute la nuit… respirations dont les lignes montent et descendent en alternance… je me souviens de ce bruit là… le seul qui me manque au cœur de la nuit, dans le fracas lointain des villes, dans les illuminations violentes des aéroports qu'heureusement mes paupières parviennent à filtrer quand la fatigue m'écrase absolument. Il y faut, certes, des strates d'endormissement contrarié, des espaces d'insomnie traversés seuls, et les froissements de la fatigue, des immensités nocturnes sans aucun espoir, sans aucun rêve. Il n'y a que le bruit de ma respiration entremêlée à cette autre respiration qui me manque, c'est le seul bruit que je recherche et vers lequel je tends comme vers la seule respiration possible, la seule inspiration du monde dans mes poumons, le seul possible.
Les lignes se croisent et se décroisent. S'entremêlent et se démêlent. Se fondent et se confondent.
Mon souffle quand il sort me paraît tiède et calme, j'inspire un air frais dans le faible interstice que j'ai laissé, entre mon visage et l'oreiller. Sur ma joue passait comme une caresse un autre souffle sous lequel je n'ai pas bougé. Aussi longtemps qu'il a suivi cet angle, cette direction, aussi longtemps qu'aucun muscle ne s'est mu, je suis restée ainsi, sans bouger et faisais ma respiration aussi légère qu'il était possible pour sentir cette respiration autre. Quelques rêveries passaient dans mon esprit que je ne retenais pas et qui ne me retenaient pas, rêveries ornementales de quinconce et d'arabesques que je laisse courir, il n'y a aucune raison de les retenir…
Je retiens un peu mon souffle, pour qu'il se fonde le plus discrètement possible dans l'univers.
Je me garde bien de déplacer une seule ligne. Il ne faudrait pas que le drap se froisse et recommence son crissement. Le moindre mouvement, je le sais, contreviendrait à cet équilibre souple et fragile. Je repose seulement sur cet équilibre souple et fragile, qu'un mouvement viendrait détruire, et après ce geste malheureux (il est inéluctable qu'il advienne, il ne pourrait en être autrement dans ce monde imparfait), ce sera la chute libre dans le monde. Je ne sais pas pourquoi on appelle cela une chute libre, c'est une chute verticale, un trait dans l'espace, je ne sais pas pourquoi on appelle cela le jour, c'est une masse de béton en train de prendre qu'il faut traverser pour retrouver la nuit, et on appelle cela le jour… et on appelle cela une chute libre.
Je ne suis rien d'autre qu'un éclat métallique qui s'enfonce dans la matière et rouille, immobile.
Alors je me retiens à ce souffle qui n'est pas le mien, qui l'entrelace et l'allège, dans lequel des possibles se tissent qui s'accompliront ou ne s'accompliront pas, je me retiens seulement à cela, avant la chute verticale dans l'épaisseur du monde. Elle étouffe toute chose.
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