Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 19 novembre 2010

Carnets lointains, 36 (dénouement)


Le crépuscule jouait à la perfection son rôle de transition. 

Il prenait doucement sur la berge, passeur, et faisait traverser jusqu'à l'autre bord. Passage. D'une rive à l'autre. Les heures glissaient sur moi sans que je les retienne, il n'y avait alors plus aucune crispation. La défaite de ce jour était complète, ce fut au fond ce qui le rendit si apaisant. Je ne cherchais pas les paradoxes dans le dédale de la vieille ville, seulement quelque impression ancienne dont je me souvenais encore, de ces soirées sur lesquelles rien ne pèse. Ni les déploiements du jour, ni la gangue encore fermée du lendemain. 

Je me souvenais d'un temps sur lequel rien ne pesait.

Le crépuscule laissait alors un souffle plus clair nous envelopper. Les rues se déroulaient au fur et à mesure que nous avancions dans la nuit, et nous marchions dans la ville. Les soirs d'été se dessinaient dans toute leur insolence, selon leur tracé propre et toujours singulier. Dans la fluidité de ce monde-là, rien ne se répète. Il fut alors possible au temps et à l'espace de redevenir fluides. Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais j'avoue que je ne me suis même pas posé la question. Il y a des métamorphoses mystérieuses qu'il est insensé de vouloir percer à jour. Une telle investigation aurait été susceptible de détruire un édifice dont il était impossible de prédire le devenir. C'est exactement cela, un enchaînement des mouvements dans lequel rien n'arrête plus le jeu entre les possibles et l'actuel, rien, pas une aspérité, aucun pavé imparfaitement scellé qui fait trébucher et projette le corps, violemment, en avant. Seulement un enchaînement des instants qu'il n'était plus nécessaire de mesurer, de décompter, d'égrainer.

La fluidité fut, sur les mouvements, celle d'un tissu très léger.

La longue écharpe de velours dévoré est tombée au pied de mon lit. Ma fascination pour elle est ancienne, elle n'a peut-être même jamais commencé. J'imagine à intervalles réguliers, d'abord la fabrication silencieuse et lente des fils dans leurs cocons de soie, le tissage complexe et parfaitement maîtrisé, qui permet d'obtenir la caresse de ce velours. Il est resté toute la journée autour de mon cou. Et sur lui, soudain, la distillation dévorante d'un acide, qui le ronge et dépose dans sa texture précise, l'or et l'argent des rêves les plus baroques.

C'est alors que les portes de la nuit purent s'ouvrir devant moi.

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