Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 13 novembre 2010

Carnets lointains, XLVI (échos)


Ce n'est pas tout à fait cela. 
 
Il passe des ombres et elles ne me frôlent pas. Ce n'est pas seulement cela. Il y a des échos de ce qui fut dans ce qui est, et je ne les entends que trop. Je n'arrive pas à ne pas entendre ce réveil (il n'existe plus, son mécanisme depuis longtemps s'est arrêté et la main qui le remontait depuis longtemps, elle-même, n'existe plus) et même si je couvre son bruit fantomatique des ondes toutes puissantes et rassurantes de la radio, si j'invoque une présence contemporaine et subtile, même si je tente de faire couler une strate liquide de musique dans ce bruit régulier (il n'existe plus), il n'y a rien d'autre à faire que de constater qu'il se renforce et se retend au contact du monde dans lequel il n'est plus, il s'insère dans la musique qui devrait le couvrir, il y marque son rythme, toujours le même, avec la même insistance qu'il mettait, jadis, à réveiller le voyageur aux premières heures de l'aube. 
 
Il faudrait que le présent soit plus puissant, plus ferme, plus cristallin, plus transparent aussi pour n'être pas entièrement corrodé par le passé. 
 
Il manque au présent fâlot une intensité, une présence qu'il est bien incapable de donner. Il vacille comme une petite bougie, présent fâlot, je m'abrite dans un cercle de lumière,  il ne m'enveloppe pas tout à fait, comme une couverture trop étroite, et parfois j'ai l'impression que le cercle lui-même oscille comme si le vent du passé le balançait dans la nuit d'encre. Il manque au présent fâlot (il n'existe presque pas) un bruit régulier, comme une palpitation, qui en marque la vie, il n'y a presque rien, que cette légère fumée au-dessus de ma tasse qui dessine des arabesques, et la lumière diffuse laisse dans l'obscurité l'immensité du passé, et le grand escalier de châtaignier craque comme si des pas le descendaient, le remontaient.

Je laisse les ombres du passé aller leur chemin dans la grande maison vide.

Elles vont leur chemin dans la maison vide, et je reste blottie dans ce cercle imprécis, dont la bordure elle-même se laisse ronger par l'ombre et se noie peu à peu dans l'obscurité pleine. Je reste dans ce cercle vide. Il me semble qu'il vacille, et que sous peu, mon présent lui aussi (il n'existe pas) glissera dans le passé sombre, s'engloutira en lui. Vertige. Sur la limite indéfiniment reculée du passé et du présent, il me semble que le présent bascule et que le passé (il n'existe plus) est incroyablement plus dense. Et je revois leurs silhouettes, j'entends les intonations de leurs accents, je voudrais seulement n'être pas seule au milieu d'eux (je n'existe plus).


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