Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 12 novembre 2010

Carnets lointains, XLV (résonance)


Passage du temps dans l'obscurité du jour, le cliquetis du réveil (il n'existe plus) résonne dans la cuisine (elle est vide, et le carrelage sous mes pieds nus est froid), le mécanisme en a été remonté  avec une attention sans partage tous les soirs, pendant des années, du même geste régulier, des mêmes mains, après le repas du soir, quand la fatigue emportait vers les lits frais, et faisait remonter la maisonnée dans les étages, la dispersait dans le silence, et ainsi se marquait l'entrée solennelle dans la nuit. 

Je suis seule dans la grande maison vide.

La verticalité qui s'en déploie pèse sur moi de toute sa raideur. Je ne parviens pas à habiter toutes ces pièces, toutes les chambres, qui se font face dans le couloir, qui se regardent aveuglément dans la nuit, elles restent obscures et fermées, pleines d'absences qui ne sont pas les miennes,  ce n'est pas moi qui suis partie et revenue, il est impossible à un seul être d'embrasser tout l'espace, de le remplir de ses mouvements, de le porter dans les gestes de la vie, je ne parviens pas à étendre dans son espace complexe le cercle diffus de ma présence, ce n'est pas de ma présence qu'il s'agit, et les battements réguliers de mon cœur me paraissent soudain moins propres à animer le temps, que le cliquetis du vieux réveil, je ne parviens pas, seule, à habiter tous ces lieux, tous ces passages, je me souviens  seulement, je ne peux rien faire de plus, des tapis qu'on sortait dans le soleil, des chaises empilées les jours de ménage sur le perron, et des odeurs de cuisine que je sentais de loin à mon retour.

Je suis seule dans mes souvenirs.

Le temps est passé, et le vieux réveil a renoncé à en compter le détail exact, tellement de temps a passé, tellement de secondes se sont accumulées, empilées, les unes sur les autres, inlassablement, impitoyablement, le mécanisme s'est rompu, quelque dentelure d'une roue minuscule s'est usée, a cessé de s'emboîter dans une autre roue, et le mouvement, d'un coup sec, a cessé, à une seconde précise qui a ouvert un silence infini qui ce soir m'englobe toute entière.

Le cercle de lumière qui tombe de la lampe, verticalement, sur la table de la cuisine est devenu ce soir le seul espace dans lequel je puisse accepter de rester. Je m'y réfugie comme dans mes souvenirs. Et miraculeusement j'y entends le vieux réveil (il n'existe plus) pendant que des ombres passent dans la pièce.

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