Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 6 novembre 2010

Carnets lointains, XXXIX (attente)


Juste cela. Rien que cela (qui occupe tout). L'attente. Rien d'autre que l'attente ne peut emplir ainsi l'espace et le temps, puis relier entre eux, un à un, tous les points de l'espace temps au point que, dans les circonvolutions patiemment dessinées, il n'est possible de rien d'autre que de cela : attendre. Attendre, dans la pénombre, les yeux ouverts sur des formes vagues et des dégoulinades de vêtements, des empilements (horizontaux sur verticaux) de livres dans la bibliothèque, que la conscience, quelques heures, rende les armes de la rationalité. Qu'elle cesse là son flux, dans l'apaisement transitoire. Rien de pérenne n'est à espérer, seulement, quelque temps, la suspension. Cela suffirait : le monologue intérieur serait suspendu au sommeil, il se pourrait qu'il réussisse la prouesse d'équilibre léger et de voltige retenue d'un mobile qui se balance dans un souffle, entre deux fenêtres, dans le calme presque immobile de l'été.

L'attente se déploie telle une fonction mathématique dont l'équation par elle seule résolue permettrait de relier tous les points de l'espace (il en existe toujours une, et je ne la trouve jamais).

Dislocation et extension, les essences de ces deux phénomènes, au commencement indépendantes, semble-t-il, se sont liées. Les images du passé heureux reviennent, tressées des angoisses du jour, se tissent de leur propre effacement, et elles prennent dans mes souvenirs des couleurs sépia, jusque dans mes pupilles qui regardent passer les traces du monde, projections lumineuses, sur le mur blanc. Je comprends que cette teinte sépia se diffuse peu à peu  dans chacune de leurs fibres,  et qu'elle déteint peu à peu des terreurs à venir (elles viendront un jour). L'éloignement dans le temps, et l'obscurité, empêchent d'en percevoir finement les contours ; l'angoisse, comme un lichen, profite de ce phénomène, et se répand dans les interstices de l'absence, elle agrippe les rugosités, y plante ses racines, et se déploie exponentiellement sans qu'il soit possible de la contenir, jusqu'à ronger  les souvenirs qu'elle attaque patiemment. 
Je me demande soudain si le mur qui entoure ce jardin à hauteur des épaules, de galets  roulés dans la rivière, abandonnée par elle dans un ancien cours, il y a partout, de ces galets, entre eux liés par du ciment gris, à peine un tracé de ciment gris, fin et résistant, qu'une main sûre a déposé là, se laisse sous la pluie d'automne, avec une infinie patience, ronger par les mousses hérissées et les lichens, si fins que la lame d'un couteau ne parvient pas toujours à les décrocher. Ils y dessinent des tâches de couleur, du jaune d'or au gris pâle, sans oublier un vert d'eau, quelque teinte qui doit avoir la transparence du céladon — et je sais qu'elle le ronge, et que sous elles, il se délite.

C'est à ce moment là que le crissement des draps devient insupportable.

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