Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 3 novembre 2010

Carnets lointains, XXXVI (silencieusement)


Je ne sais pas exactement quel est le silence de la nuit. On parle toujours du silence de la nuit, mais quel est-il au juste ? Il y a un dogme du silence de la nuit, que là, à cette heure insomniaque, je me sens assez portée à faire éclater en menues contradictions. Il reste certes que la nuit, sous le couvert qu'elle nous offre comme le feraient les branches immobiles d'un arbre immense, les sensations s'aiguisent, elles y deviennent plus tendues, plus fines, et puis après un tel effort, elles se relâchent, et cèdent le pas, une fois qu'on a réchauffé sa place entre des draps, sous des couvertures, alors elles cèdent, elles reculent, battent en retrait, et finalement la respiration se calme, pendant que le corps se concentre dans ce minuscule espace de chaleur. Mais le silence des nuits, finalement, je ne sais pas exactement quel il est. 

Il y a d'abord les respirations sourdes, celle du chauffage, qui se déclenche dans le noir à intervalles réguliers, comme un énorme soupir, je l'entends toute la nuit, même si je n'y prête pas attention, à intervalles réguliers, on peut imaginer au début comme une légère explosion, quelque chose comme un souffle qui passe, et l'allumage, une étincelle, ce serait possible dans la noirceur de la nuit, du moins est-ce ce que j'imagine. Même sans être dans la même pièce, j'entends son déclenchement à intervalles réguliers. On ne peut pas dire qu'il me dérange, ni qu'il empêche de dormir, ce serait presque une présence, un ronronnement énorme et régulier. Il provoque comme une vibration sourde dans les mûrs, comme une vibration sourde des portes dans leur chambranle. Mais il n'empêche pas la nuit de se déployer.

Seulement il s'immisce dans ce qu'on y appelle silence. Comme la rumeur de la ville qui ne cesse de nous envelopper. Elle n'arrête pas de se déployer, de nous englober. Il y a la rumeur sourde, les circulations, les passages constants, et quelque chose qui monte dans la nuit, qui fait penser à des départs, tous ces gens qui passent à ces heures insomniaques, dans la profondeur de leurs jours sans fin. Les véhicules qui démarrent, on ne les voit pas, on les entend, on ne les entend pas individuellement, il est impossible de leur prêter une attention précise, on entend la collection de leurs passages, refondue dans un tout, indiscernable. Un autre bruit sourd dans lequel les roues et les pavés jouent un rôle non nul.

Alors au fond des nuits, quand une pluie immense s'abat sur nous, ruisselle sur les toits, le long des façades, et qu'elle rejaillit sur le sol, une pluie dont évidemment on n'entend jamais tous les bruits individuels — chaque goutte fera, en éclatant sur le sol, un minuscule bruit qui lui sera propre et qu'on ne percevrait pas — et de la pluie on n'aura qu'une perception globale et collective, dans laquelle tous les accidents particuliers dans l'espace et le temps se seront refondus en un bruit calme, le bruit précisément de la pluie, qui n'est que la somme de tous les bruits de toutes les gouttes de pluie, les unes et les autres, indéfiniment, ce que nous appelons la pluie vient seulement se fondre dans cet immense silence qui est une fusion assourdie des bruits du monde.

Et le silence de la nuit nous échappe.





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