Les lumières défilent. Elles défilent étrangement, et ricochent sur les faïences des stations. Les ombres massives des voyageurs s'interposent. Je ne sais pas pourquoi on parle de voyageurs alors que tous, ils se contentent, comme moi, d'un mouvement d'oscillation. D'un point à un autre. Aller. Et un peu plus tard : retour. Elles s'interposent entre l'intérieur du wagon et le nom des stations. Ils défilent. Je n'ai pas tellement besoin de les regarder. Ils défilent dans un sens, toujours le même, le matin, puis dans l'autre sens le soir. Je connais les enchaînements, les suites, les épisodes, je connais tous les chapitres du voyage, rien ne change vraiment.
Cela permet de se retirer en soi-même, dans un cercle calme (il me manque).
Dans une station, il faudra fendre la foule. Traverser la salle immense et pleine de voyageurs. J'imagine que, les premières fois (je les ai oubliées), on ne perçoit rien d'autre qu'une foule disparate et empêtrée dans ses affaires, tirant des valises à roulettes qui se bloquent invraisemblablement : toute la mécanique alors de la circulation fluide se grippe, les voyageurs se bousculent, se heurtent comme des pantins derrière celui qui, arrêté, empêtré, retend ses muscles, se crispe, pour de nouveau reprendre le pas imposé.
Il suffit d'un peu d'habitude pour adopter une vision verticale, on évite les groupes agglutinés qui attendent, sous les panneaux, les numéros des quais, statiques et compacts, on suit des ruissellements de passage qui conduisent où il faut aller, il y a des courants rapides, des méandres qu'on peut éviter, qui enlisent dans des blocs impavides.
L'habitude donne cette vision en surplomb. Et confère aux gestes la sûreté dont ils manqueraient. Parfois, aussi, elle distrait de soi et on se retrouve là, égaré, sans rien en poche : tout est resté sur la table de la cuisine, papiers, billets, argent, dans le portefeuille, sur la table de la cuisine. D'ici, on les distingue parfaitement. Le départ manquait de la moindre émotion, et il ne s'est pas joué comme on doit jouer les départs.
Les pas se marquent, rythme soutenu, sur le béton du sol, sur les marches de l'escalier, on se retrouve , ils portent sur le quai, face au train immobile qui bientôt signera son élan très loin d'ici. Je ne sais pas pourquoi, l'habitude a vidé le voyage de ses rêves, je ne sais pas pourquoi elle a à ce point effacé les attentes, arasé les possibles. Elle s'est jetée sur ce jour comme une poudre corrosive et l'attaque très profondément.
Il paraît que ce jour se traversera comme on traverse un paysage.
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