Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 18 janvier 2011

Manuel anti-onirique, LIII


Tout le jour serait une lutte. Combat du mouvement contre l'immobilité.

Hiatus du mouvement. Tout le jour avait été une lutte continuée. L'instant d'avant elle était immobile, l'instant d'après son âme était brisée à ses pieds. Tropes flottants dans l'air, du parfum qui s'exhale, et par vagues successives s'éloigne, se répand au loin, jusqu'à l'infini imperceptible, du tintement qui traverse le silence, provoque des échos irréfléchis du choc initial, loin, très loin d'elle. L'instant d'avant son bras était immobile ; l'instant d'après sa main voulant saisir le flacon fragile l'a déséquilibré, les doigts se sont ouverts ou refermés, elle ne sait plus, à contretemps, sans doute, les phalanges se sont ouvertes ou fermées, mais autrement qu'elles n'auraient dû le faire, bougèrent dans les interstices d'immobilité, se figèrent quand elles n'auraient pas dû, l'instant d'avant elle était immobile, l'instant d'après ses doigts laissaient s'échapper le flacon. Il se brisait à ses pieds.

Entre les deux instants, il y eut la chute.

Verticale. Un trait transparent, presque lumineux, dans le champ de sa perception inattentive, soudain focalisée sur un mouvement tracé droit sur le monde. La chute verticale. Le flacon s'échappe de sa main imprécise, ou glisse de la tablette de marbre très légèrement ébréchée où elle l'avait posé, et se brise à ses pieds. Il s'échappe dans l'éther immobile. Elle reste telle une statue : figée. Ses yeux voient la chute, l'embrassent du regard sans qu'il lui soit nécessaire de baisser la tête. Le déséquilibre de l'objet l'a figée dans l'immobilité. Et ce serait alors une même chose de dire que le flacon s'est fracassé sur le sol, que le parfum s'en est allé par vagues successives et de dire que son âme a éclaté sous ses yeux et s'est exhalée d'elle.

Son cou n'eut même pas à ployer. Sa nuque est restée, immobile et fragile.

Dans le miroir la même scène se répète dans un espace inatteignable. La même scène se reproduit à l'identique. Se perçoivent, d'un seul regard, les deux traits verticaux de la chute devant elle, devenue inutile. Avant de se briser, le flacon disparaît du cadre. Hors champ. Qu'advient-il du flacon dans le miroir lorsque celui dont il est le reflet se brise près de ses pieds nus ? Qu'advient-il de son reflet lorsqu'elle s'agenouille pour prendre dans ses doigts les éclats de verre tranchants ? Qu'advient-il de nos reflets quand nous sortons du champ ?

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