Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 3 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XLI


Vol sec… elle a toujours aimé cette expression. Juste l'envol, rien que cela, et rien de prévu, au sol, que la possibilité de la liberté. Rien d'écrit par avance, rien d'autre que la trace des pas à poser sur le sol. Parfois, elle roule dans son esprit cette minuscule expression comme un galet aux flancs adoucis. D'autres aussi. Différentes. Des bribes de paroles, d'autres les ont dites mais on dirait qu'elle les a absorbées et qu'elle les a faites siennes. Un alexandrin tronqué, parfois, dont elle ne retrouve jamais la forme exacte, et ce n'est pas faute d'avoir essayé, à de multiples reprises, mais il demeure toujours bancal et elle ne l'aime que mieux. Comme s'il lui manquait un éclat infime. Ces extases minuscules (ici n'est pas le lieu pour en donner la liste) se sont accumulées au cours des ans, remontent à la surface de la conscience, quand bon leur semble, sans qu'il soit possible de prévoir leur apparition soudaine, et y disent ce qu'elles ont à dire. En général, elles sont presque hors contexte. 
 
Presque, seulement. En cherchant bien, on comprendrait les motifs de leur apparition. Certaines sciences s'en occupent. Simplement il n'est pas nécessaire, à ce point de l'histoire, pour profiter de l'orbe qu'elles ouvrent, de comprendre les liens, de les interroger. Il vaut mieux leur laisser leur mystère. Il y a, dans les interstices des mots, comme de possibles libertés. Entre eux, si on regarde attentivement, on découvrirait des espaces à peine visibles, pourtant immenses, et si on se glisse en eux, certes, cela demande une attention soutenue et jamais démentie, on peut craindre qu'ils se referment, mais soudain ces possibles s'ouvrent dans le monde même et il devient envisageable d'y prendre une respiration. Par la grâce du langage, comme un coin enfoncé dans la texture opaque des choses.

Vol sec… L'expression lui traverse l'esprit comme un déchirement quand elle glisse la clef dans la serrure et la tourne. Avant le claquement net qui lui indique que, encore une fois, le mécanisme a fonctionné. Il fonctionne presque toujours.

Les espaces quotidiens, même plongés dans l'obscurité, n'ont pas cette profondeur que le langage offre. La pénombre a beau recouvrir les surfaces, les engloutir, masquer les contours et les angles, les noyer, elle contourne les masses sombres des meubles. Clair-obscur, et les reflets des reflets, et les éclairages indirects, jeux d'ombres et de lumières, tout cela n'y suffira pas, si on n'est peintre.  C'est là une magie dont elle ignore tout. Il lui faut le secours du langage. Exercices minuscules, mais reconstruire le lien au monde ne sera possible que s'il est possible, aussi, d'y prendre une respiration.

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