Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 4 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XLII


Il faut des ciselures fines. Elle a envie de lever la tête, à la verticale, et de distinguer sur le ciel bleu, tout en haut, les découpes précises des chapiteaux romans, en aplomb. 

Aspiration. Tout est là, non résolu, gisant épars sur le tapis ancien aux motifs presque réguliers, presque géométriques. Brisure. Les jours glissent, se précipitent dans l'absence, dans la chute, et elle ne trouve plus d'aspérité à laquelle se retenir. Pas la moindre aspérité à laquelle se retenir, même en s'écorchant les mains sur la pierre. Il est devenu possible, chose à peine croyable, de passer les heures dans un enchaînement ininterrompu, du matin ou soir, d'enchaîner les gestes mécaniques à quoi la vie sociale réduit patiemment tous les élans. Fractionnement. Les élans brisés sont plus douloureux que des membres fracturés. Ce qui autrefois se déployait, élan, tentative, et avait le désordre et l'audace des possibles, revient, émietté par les passages obligés, réduit en miettes par la répétition des jours,  toujours les mêmes, selon des séquences tout entières attendues. Et les heures passent, s'enchaînent, se sont allées perdre dans le désordre des nuits, se fondent les unes dans les autres, jusqu'à n'être qu'une lave autrefois en fusion qui peu à peu se fige, et immobilise tout dans sa propre immobilité glacée. 

Impassibilité du prophète de pierre sur la façade. Et son regard impénétrable. Les plis réguliers de son manteau couvrent ses pas.

Autrefois, elle voyait, dans les esquisses de son existence, quelque passage droit et net qui ne l'inquiétait pas. Il suffisait de poursuivre du même élan, c'était sans doute la seule condition qu'elle n'a pas respectée, les mouvements étaient contenus les uns dans les autres, et tout cela se déroulait, se déployait d'un même élan. À présent, le souffle est perdu. Quelque cassure insidieuse empêche de chercher l'allant. Descendre dans les profondeurs de ses visions devrait lui permettre de le retrouver.  Ou du moins, s'il est quelque part, ce doit être là, dans ces images intactes qui continuent de remonter à la surface, qui ont conservé cette grâce. Exercices minuscules. Il doit bien y avoir dans le monde quelque lieu intact à partir de quoi redéployer ses ailes comme des possibles. 

À moins que tout ne soit qu'un exil puissant. L'hypothèse ne peut pas être entièrement écartée.

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