Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 2 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XL


La ville en nocturne glisse sous ses yeux, mais n'accroche pas ses regards, passage rapide au ras des eaux, le taxi déroule les berges trop connues du fleuve, qui pourraient être à peu près n'importe où, mais se tient prêt à déborder ; pour l'heure encore, se contient, attend, on ne sait quoi, on ne sait quel signal auquel il pourrait sortir de son lit, et  tout laver. Se défaire du moi pour retrouver le monde, au lieu que ses regards glissent sur la ville. Le fleuve reflète dans des halos tremblés les lumières multiples, les multiplie dans ses eaux, les répète et les  engloutit en les déformant. La métamorphose de métal en fusion du flot sombre absorbe des parcelles éclatées de lumières. Diffraction. Exercices minuscules. Éclatement du moi dans des exercices minuscules (retrouver un lien pur au monde). Se défaire de soi.
 
Se défaire des ombres du moi laisse sur le monde une trace fugitive et précise.

Les marques des pas en hiver au bord de l'océan. L'image s'impose, claire, dans son esprit. Juste cela. Une rupture dans la perception. La légèreté des pas, ferme et fugace. Il est même inutile d'en faire un agencement savant. De dessiner des circonvolutions, de calculer des diamètres et des angles. Le passage à lui seul est un land art minimaliste, qui aurait eu le courage de se défaire de toute mise en scène, de tout superflu. Juste cela : les pas sur la plage déserte, en hiver. La marée montante les effacera bientôt et déjà des nuages d'écume se détachent des vagues, parcourt la plage. Le minuscule chemin qu'elle a pris pour avancer dans cet espace, bientôt, ne sera plus qu'un souvenir qui ensuite reviendra. Pour l'heure, il faut battre en retrait. Mais alors, un instant, le face à face avec le monde sonne juste. Et elle remonte ses propres pas dans la direction opposée, court presque, dans le sable, en riant de l'avancée des vagues qui menacent de l'éclabousser ! Exercice minuscule. Presque rien.

Le fleuve est là, dont la présence lui revient par le détour de cette image.


À présent, le taxi s'en éloigne. Elle préfère l'arrêter et terminer à pieds dans la nuit.  Le prix de la course échangé, la portière, de nouveau, claque d'un bruit sec. Les souvenirs sont des lambeaux de possibles qui tombent d'elle dans le vent du soir. Elle préfère les laisser glisser à terre, se défaire d'eux. Ils amortissent les chocs, émoussent la sensibilité au point qu'il ne reste de nous, au soir venu, que des strates poussiéreuses qu'aucune lumière artificielle ne parvient à traverser. Elle comprend dans ces conditions leur suicide par noyade dans les eaux boueuses, ne partage pas cette tentation, et remonte à pieds la rue déserte vers chez elle.



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