Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 28 janvier 2011

Manuel anti-onirique, LXIV



Rester assis, là, aux bords du monde qui soudain s'est vidé, sur le même banc de pierre qu'il y a très longtemps, la première fois où cette cour s'est ouverte devant les regards inquiets de l'enfant que nous avons été. Ce même banc, pierre horizontale, de lave noire, tombée de sa verticale hiératique où elle fut autrefois, dans l'enceinte de l'église, et qui autrefois abritait nos jeux. Les ombres des arbres sont devenues immenses, au point de presque se fondre les unes dans les autres, au point que les branches interminables des arbres s'entremêlent et tissent sur le sol la texture de la nuit. 

Les dernières silhouettes se sont effacées. Une à une, par grappes désordonnées, elles sont rentrées dans les bâtiments anciens, régularité de la façade, ponctuée de fenêtres sur plusieurs rangées, volets clairs. Il y eut tant, ainsi, toujours ainsi, et le bois des fenêtres supporte le vent et la pluie depuis que la peinture gris-bleu s'écaille un peu. Il faudrait repeindre. La cour revient à l'immobilité et au silence. Les dernières silhouettes ont fui. Les derniers jeux se sont arrêtés et on peut supposer que les pas se sont calmés, que les rangs se sont formés, et que les voix des enfants se sont tues.

Rester là, assis aux bords des souvenirs permet pour la première fois, dans la course suspendue, arrêtée de regarder très précisément le tracé des joints entre les dalles de la cour. Même pierre noire que le banc. Il suffit de choisir un point de l'espace, n'importe lequel, dans le quadrillage irrégulier des dalles, et les jointures entre elles, en escalier horizontal, déposé à même le sol, permettent de traverser la cour du jeu d'un seul regard, ou bien d'aller, d'un bord à un autre de la cour, dans n'importe quel sens. On le suppose, du moins. L'expérience est toujours restée, ainsi,  en suspens dans tous les jeux qui ici se sont joués. Déroulement régulier, alors, des jeux et des moments, dans le temps sans cesse revenu. Il était impossible de prévoir, à l'époque, que tout ici serait un jour dévoré de vide.

Mais de ce banc de pierre, il n'est possible que d'embrasser du regard une petite portion de la cour qui se ponctue, par endroits, d'un marronnier immense. 

Autrefois, il occupait au centre de notre monde une place à part, dans les consolations du jour. Prendre appui sur lui. De la mémoire, les détails des jeux s'effacent. Peu à peu.  Quelque chose les recouvre, qui empêche de voir avec qui ils étaient partagés. Même un effort, une tension interne de la mémoire, ne suffit plus à les invoquer. Invocation tacite. Les détails échappent. Le rythme est heurté, la cadence à l'évidence n'est pas en place. Fluidité des paroles perdue. Comme toute fluidité du monde qui seulement sombre dans la nuit.

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