À croire qu'il n'est besoin de personnage que pour accorder les verbes, seulement pour accorder les verbes… aimer, pleurer, perdre, tendre, attendre, perdre, s'en aller… à croire que l'unique fonction qui leur revient est de permettre d'accorder les verbes, de les rapporter à des sujets qui dessineront leurs silhouettes en ombres chinoises sur les phrases… il n'est besoin que des verbes, seulement eux, pour avancer dans le monde, et les verbes se retiennent à des personnes, qu'ils absorbent, qu'ils font leurs, dans la puissance de leur voix, alors il faut aussi un personnage. Polyphonie des verbes, qui privés de l'appui de leur voix, se retireraient du monde comme une marée descendante, et laisseraient à découvert l'immensité de la solitude dans laquelle les personnages, tous, selon leur ligne mélodique propre, évoluent, génération et corruption, croissance et dégénérescence, jusqu'à disparaître au loin, n'être plus qu'une ombre minuscule qui s'éloigne, seule.
Alors que deviendra ce pur accès au monde que sont les verbes, si le personnage de cette histoire, par inadvertance, est sorti du cadre ? Il a disparu, s'est effacé comme une buée, d'un revers de l'écriture, sur la surface du miroir.
Pur contact avec le monde, le texte s'enroule et se replie, à seule fin de retenir un peu de ce réel qui glisse entre les doigts. La tentative de le saisir est toujours aussi désespérante. À croire que la présence du monde a la texture fragile d'un nuage, dont on peut enlever une minuscule partie de matière, et ainsi de suite, indéfiniment, encore une autre goutte de vapeur d'eau condensée par le froid de l'altitude, sans qu'il cesse jamais d'être un nuage, jusqu'à ce qu'il cesse d'être un nuage. À croire que le réel a la texture fuyante du sable, dont on peut ajouter autant de fois qu'on le voudra autant de grains qu'on le voudra, sans jamais obtenir un tas de sable, et pourtant il y aura, là, posé devant nous, - un tas de sable, à un moment donné, sans qu'il soit possible de savoir pourquoi, sans même qu'il soit possible de savoir comment, et puis, crescendo et decrescendo, de nouveau, les choses se déferont sans qu'il soit possible de rien dire de plus. Marée montante et descendante des choses du monde.
La chute de ce lent échafaudage des phrases ne s'arrêtera pas là. A quoi se retiendront les adjectifs si personne n'est pas là pour les porter et se glisser en eux, et recevoir les caresses qu'ils donnent ? Toutes les constructions précédentes s'effondreront. Du moins, c'est ce qu'on prétend. Car l'impassibilité du miroir qui reflète un monde vide nous parle d'autre chose.
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