Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 10 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XLVII


La pesanteur surprend lorsque la verticalité rend à cette impression ; provisoirement elle s'était effacée du corps et des mouvements, son absence les avait laissés se déployer. L'eau avait presque annulée ce paramètre, du moins l'avait rendu insensible, en avait délivré les gestes et les tentatives, et soudain, après que ses bras ont attrapé l'échelle de métal, au moment où son pied nu a touché le sol, elle est rendue à cet écrasement commençant, toujours le même, perfide. L'eau glisse le long de ses jambes au moment où ses bras la tirent vers le haut. Ses pieds laissent sur le sol quelques empreintes éphémères avant de se fondre dans les traces humides et déformées sur le sol. Quelques pas, encore hésitants, ne se décident pas entre un élément et l'autre, regrettent encore un peu la légèreté perdue, et puis le jour reprendra sa course abrutissante, il n'y a pas à en douter. Pour le moment, rien qu'un léger vertige entre deux éléments, le regret déjà de l'eau à laquelle il fallut s'arracher, se redouble du retour au sol, horizontal et rugueux.

Et de nouveau, la crainte de ne plus rien retenir.

Il suffit que l'eau fraîche glisse le long de ses jambes, qu'elle abandonne le contact de sa peau en longs tracés ruisselants, dont les courbes se croisent et s'enroulent autour de sa cuisse, pour que toute cette coïncidence précaire de ses gestes et de sa respiration disparaissent, de son esprit et son monde, et que toute son insertion vacille, de nouveau. Ombre. Et l'équilibre de la marche est aussi instable que celui des impressions. Un enfant la bouscule et plonge en criant dans l'eau qu'elle vient de quitter. L'éclabousse d'une écume devenue étrangère. Seule, elle n'y parviendra jamais. L'épreuve de la reconstruction est sans espoir. Les morceaux épars, du monde brisé en éclats ne se laissent plus assembler. Le cri strident de l'enfant qui est remonté à la surface reste en suspens quelques instants après avoir disparu, trace imperceptible et pourtant douloureuse.

Échec du solipsisme, oublié un instant dans les mouvements de la nage. La solitude et le silence ne permettront pas de remonter à la surface. Ne laisseront pas traverser les strates des rêves et des angoisses, vers la surface. Il n'y a rien. On ne remontera pas, personne n'a pas la légèreté d'une bulle d'air, et de toutes les façons qu'on s'y prenne, elles éclatent à la surface, il n'est pas très assuré que leur sort soit enviable. Le sol bourbeux attire, il y a de quoi descendre, descendre constamment, tout cela est une longue descente, elle n'en finit plus, il n'est plus très possible de respirer …

… l'existence comme une longue descente … ce ne doit pas être exactement cela.

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