Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 7 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XLIV



Le premier exercice minuscule était : tenter un mouvement dans l'espace plein et cohérent. Pas de saccade, ne pas trébucher, laisser s'écouler dans le monde un mouvement entier, un geste régulier, aussi insignifiant soit-il, on n'en est pas si loin. La vibration du monde retrouvée dans la couleur. Après, les choses deviennent plus faciles (mais seulement à propos des couleurs, dans des contextes très particuliers, et pour de très brefs moments, il faut tenir compte des conditions très précises…).

N'empêche… quelque chose se retrouve de la fluidité du mouvement, comme un battement des paupières au réveil qui laissent passer un premier rayon de lumière, celui qui entre dans les rêves, et les dispersent si fatalement que nos souvenirs n'en gardent pas la trace. Ce tout premier mouvement du corps le matin, qui est aussi de la conscience, retour au monde, après la noyade dans les rêves, lorsqu'il est salutaire de revenir sur les berges de la conscience, battre des cils, soulever les paupières, à quoi la conscience se rattache pour revenir toute entière quelques instants plus tard. Que la première perception soit celle de la note tenue de lumière, n'importe laquelle, cela n'importe pas, il y a toujours, tous les matins, cette première coïncidence avec le jour et avec sa couleur. Coïncidence, du corps et de la conscience, de soi avec le jour, qui met un terme à la dispersion dans les rêves qui éparpillent au loin. Un rayon de jour filtre à travers les volets, une certaine transparence de la lumière est absente qui indique les nuages, et la pluie, et la perception se complète peu à peu, le bruit de l'averse, contre le toit, et le monde est là, présent tout entier, dans cette première perception du jour pour laquelle il suffit d'entre-ouvrir les paupières.

La fine ligne lumineuse et presque géométrique traverse les éclats dorés du commencement du couchant. Il faudrait nommer très précisément cette heure, et ne pas se contenter de la compter. Sentir sur sa peau la très légère chaleur du soleil, et la caresse du vent du soir, au moment des prémices du déclin. Le pont presque aérien enjambe le fleuve, le traverse d'un trait… autour de cette ligne, le jour commence à finir, c'est ce moment étrange, le jour commence à basculer dans la nuit, et le pont, parfaitement suspendu dans l'espace, enjambe le fleuve et le ciel reflété en lui. L'équilibre est léger, si étonnamment aérien qu'il est surprenant qu'il soit tout de même équilibre, suspendu ainsi au dessus du vide de l'absence, néanmoins, il tient. Presque… La ville autour est une perception moins pleine que cette fine ligne rendue lumineuse par les rayons du crépuscule doré et qui traverse tout l'espace en dépit de sa légèreté, ou grâce à sa légèreté.

Il y a comme une vibration. Le problème est de n'être pas peintre et de vouloir les trouver dans l'inscription des caractères noirs et réguliers sur le fond lumineux de l'écran d'ordinateur. Condition nécessaire, sans laquelle il n'est pas possible d'espérer la sentir à la surface de la peau, comme une caresse. La grâce nécessaire des phrases sera-t-elle suffisante ?

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