Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 12 janvier 2011

Manuel anti-onirique, XLVIII



Tout cela ne fut un temps que les mensonges qui évoquèrent, vaguement, un possible miracle, sans que personne n'y croie un seul instant, elle ne cessait d'évoquer ce miracle où la mosaïque toute entière serait recomposée, peut-être par elle, ce n'était pas bien net dans les convocations approximatives de son esprit, celui où les éclats de lumière seraient autre chose que des stries disparates et violentes qui perforent la pupille de leur vibration et atteignent en tremblant la rétine. Tout cela ne fut un temps que mensonge, et puis finit par s'évanouir comme un songe, par se dissiper comme une fumée dans un grand coup de vent.

Il fallait bien se rendre à l'évidence, il n'était pas possible de prétendre résister plus longtemps : il fallait en convenir, avec le langage dont elle disposait, en dépit des circonvolutions de sa syntaxe, des imbrications complexes de ses phrases, et de tous ces efforts désespérants, épuisés, elle ne saisirait jamais rien d'autre que du sable, une poignée qui chaque fois lui échappait à nouveau. Le réel ne se laisse pas saisir. Le monde recule comme un mirage dans les sables du langage, et les phrases ne sont même pas des traces qu'il serait possible de suivre en dépit même de tous leurs méandres, pour se retrouver enfin sur la berge stable de quelque certitude irréfutable.

Son existence lui glissait entre les mains, elle n'en retenait rien, de l'aube jusqu'au soir, elle se perdait dans des errances, oubliait son chemin, et du soir jusqu'à l'aube il n'y avait rien à espérer de ses rêves abscons. Rien à attendre, rien à espérer, si au moins cela lui avait été clair. Rien à attendre. Lever, corvées, déjeuner, corvées, dîner, corvées, ou pas, si elle avait de la chance. L'alternance une fois pour toutes est posée. C'est précis. Il n'y a pas un coin de rêves à enfoncer ici. Alternance : corvées, repas, et de temps en temps, peut-être, la possibilité de sauter le déjeuner ou le dîner, puis régulièrement, celle de sombrer dans l'absence à soi lourde et massive du sommeil. Néanmoins, le répit sera bref. Et de nouveau reprendre, petit déjeuner, corvées, déjeuner, corvées, dîner, sommeil, du moins disons la nuit car le sommeil ne va pas de soi, et la fatigue ne suffit plus à le rendre possible ni à entrouvrir le monde des rêves. Lui aussi se referme. Ce qui ne paraissait pas possible se produit. Le monde glissait entre les mains, se dérobait, à croire qu'il n'a pas plus de texture que la brume, que les sables mouvants… Et voilà que le monde des rêves qui seul, encore l'accueillait, se clôt lui aussi à ses espoirs. Tout se dérobe sous ses pas, les phrases ne la font pas traverser le jour. Il n'y a plus de philtre, plus de talisman, plus d'étincelle. Elle ne traverse plus, le voyage devient impossible dans la ronde des jours, ce sont les jours qui la traversent comme des ombres traversent une ombre.

Ténèbres. À croire qu'il n'y a rien à croire, que la seule position possible est un scepticisme grinçant.

1 commentaire:

  1. C’est quelque chose à contenir que nous tentons d’entendre. La saveur profonde d’une voix qui pourrait prononcer une parole incomprise partout ailleurs.

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