Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 9 février 2011

L'∞, 11

Il reste toutefois possible de fuir. Droit devant soi jusqu'à la mer. L'accès en est très improbable. Il faut sortir des décombres de l'autoroute, traverser des gravas et laisser derrière soi des immeubles d'un autre temps. Parfois, des cordes tendues de fenêtre à fenêtre reçoivent le linge sans qu'on voie jamais les mains des femmes qui l'étendent. Des enfants courent et jouent au ballon, silhouettes colorées. Et par éclair on l'aperçoit, dans les interstices des rues étroites, par l'ouverture d'une cour, ou entre deux façades disjointes.

Puis de nouveau on la perd dans les embouteillages de la fin du jour.

Files interminables. Il faut parfois plus de temps pour échapper à la répétition de l'autoroute, comme à un maléfice impossible à rompre, le long ruban d'asphalte nervuré retient nos minutes, qui empêche encore de fuir la ville précieuse, chaînette honnie qu'on laisse volontiers glisser entre deux pavés. Arêtes aiguisées. On les connaît. Les blessures en sont profondes. Arrêtes vives. Le chagrin, là bas, qu'on fuira à travers les décombres de la ville, et les souvenirs qu'on n'y a pas, et les gravas, et le désastre des lézardes, les fissures, la ville s'effrite, évidemment, il n'est pas exclu que toute le décor se décompose, et tombe en poussière. Délitement inévitable. Il faut encore prendre le métro, s'enfoncer le plus loin qu'on peut dans le sous-sol gris, croiser en descendant la foule hagarde de ceux qui remontent, longues files immobiles que des roulements métalliques déplacent, dans des grincements habituels.

Après quoi, il suffit de sortir de ce passage souterrain, de suivre précautionneusement les flèches, de se laisser porter vers la surface, et de tourner la tête. Simplement tourner le regard suffit. Rien que cela. Il n'y a rien de plus à faire. Elle est là. Intacte. Toute entière dans le port assoupi. Possibilité de l'immense. Il suffit de sortir de ce dédale urbain, et ce qu'elle dit depuis les temps passés est là, odeur émouvante de sel, crépuscule ∞ dans les clapotements des vagues, et le tintement métallique des mâts des bâteaux.

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